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Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/208

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L’AÉROPLANE-FANTÔME

Il ne se demande pas comment la chose a pu être exécutée. Miss Veuve lui a démontré qu’elle est une réalisatrice d’impossible. Il dévore ces quelques lignes :

« Sire. L’injustice appelle la violence. J’ai dû frapper. Cette fois encore, j’ai épargné la vie des pauvres gens embarqués à bord de votre aéroplane de guerre. M’obligerez-vous à cesser de me montrer clément ?

« Je ne menace pas, je prie, Sire. Consentez à agir selon la justice. Je suis navré de vous apporter l’affliction, mais le devoir auquel je suis voué, le devoir que vos maladroits conseillers vous empêchent d’aider, commande impérieusement mes actes.

« Et triste au delà du possible, je me vois contraint d’affirmer à Votre Majesté, mon inébranlable résolution d’être chaque jour davantage l’exécuteur testamentaire de François de l’Étoile. »

D’un geste automatique, l’Empereur tendit le papier au Chancelier de l’Empire, dont la haute taille se dressait à présent auprès de lui.

Sans qu’aucune émotion se marquât sur sa face sévère, le fonctionnaire prit connaissance de la lettre. Puis il se pencha respectueusement vers son souverain et murmura à demi-voix :

— On peut reconstruire des aéroplanes, Sire. Simple question d’argent. On ne relèverait pas un trône renversé par les révélations d’un traître. Quelques jours encore. À quoi bon perdre maintenant le bénéfice de notre longue patience.

Le souverain courba la tête ; il sentait qu’il fallait se ranger à l’avis donné, et il avait honte de pareille concession.

Plus vulgaire, il eût accepté l’obligation dynastique ; mais si l’Empereur peut être critiqué dans sa façon d’être ou de penser, il existe un point sur lequel ses admirateurs et ses détracteurs sont d’accord ! C’est sa gentilhommerie, son souci ardent de l’honneur.

Et ce paladin moderne souffrait dans sa chevaleresque nature. Il n’osait plus porter ses regards sur le peuple qui attendait de lui la fin du cauchemar bouleversant l’Allemagne.

Sa volonté, ses sentiments se heurtaient. D’un côté, sa dynastie, son sceptre, ses enfants, sa famille ; de l’autre, la nation rangée sous son autorité.

Le souverain fut vaincu par le père. Il consentit tout bas au pacte conseillé par le Chancelier. Il se tairait encore. Mais ce lui fut une blessure de se constater faible, lui, l’Empereur des Soldats, lui, qui chaque jour, avec une grandiloquence que certains taxent de théâtrale, invoque le dieu des armées.