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Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/213

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MISS VEUVE.

nicien n’a pas le loisir de se perdre en considérations psychologiques.

— Ce sont ces messieurs officiers, commence-t-il…

— Ils désirent… ?

— Ils disent que l’aéroplane de Grossbeeren est détruit. Alors je me demandais s’il était bien utile de continuer notre route.

Le docteur a une moue désabusée.

— Bah ! Là ou ailleurs ! Continue, Klausse, et remercie ces messieurs de leur courtois avertissement.

Les hussards demeurent sans voix. Sûrement ces gaillards robustes, bons vivants, n’ont jamais rêvé dans leurs pires cauchemars, l’abîme de désespérance que leur révèle le docteur inconnu. Il doit comprendre le malaise de ses interlocuteurs, car il reprend :

— Je vous prierai seulement, Messieurs, de compléter, si possible, vos renseignements. L’aéroplane a été détruit, comment, quand, par suite de quoi ?

— Cet après-midi. Comment ? Le diable le sait, mais par suite des agissements d’une espèce de Croquemitaine, dont on nous rebat les oreilles depuis quelque temps.

— Qui appelez-vous ainsi ?

— Miss Veuve !

Les traits du propriétaire de l’automobile n’expriment ni étonnement, ni curiosité.

— Soyez remerciés, Messieurs, dit-il. En marche, Klausse. Nous avons projeté d’aller à Grossbeeren. Allons à Grossbeeren.

D’un geste machinal, les chefs de la patrouille saluent le docteur.

Le carreau se referme, le moteur ronfle, la voiture s’ébranle, dépasse le peloton qui a fait halte sur le bas côté de l’avenue, et s’enfonce sous les arbres, tandis que les hussards poursuivent leur ennuyeuse patrouille, devisant de la rencontre qu’ils viennent de faire. La tristesse des uns fait la joie des autres. Éternelle vérité de la Comédie Humaine, dont les deux officiers fournirent la preuve, sans y mettre de malice.

— Teufel, lança le lieutenant. Je préfère être enclos dans ma peau que dans celle de ce docteur.

— Le fait est qu’entre un être folâtre et lui, il y a une petite différence.

Il est probable que, malgré l’opinion exprimée, les officiers eussent imposé leur compagnie au doktor Listcheü, s’ils avaient pu percevoir les paroles qu’en cet instant même échangeaient les personnes enfermées dans l’automobile.