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Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/277

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L’AÉROPLANE-FANTÔME

qu’une terrible lutte se livrait en lui. Le gentilhomme et le souverain étaient aux prises. La raison d’honneur se heurtait à la raison d’État.

Listcheü attendait, sans un geste, témoin muet du combat intérieur de l’un des plus puissants souverains de la terre.

Enfin, l’Empereur parut prendre une décision. Sa main se porta sur son front, à deux reprises, comme pour chasser les résistances ultimes de la pensée.

— Vous avez parlé loyalement, Monsieur. Je veux vous montrer que votre opinion n’était point fausse en ce qui me concerne. Vous allez entendre des paroles que nul ne saurait se vanter d’avoir perçues en Allemagne. J’ai reconnu la voix de votre cœur. C’est mon cœur qui vous répondra.

Il eut un soupir profond, mais son accent s’affermissant par degrés :

— Je hais l’espionnage et les espions ; je hais tout ce qui rampe, tout ce qui ment, tout ce qui trompe. Si, dans cet état d’esprit, je me suis tu lors de votre appel de justice, c’est que l’on m’a fait valoir une raison d’État.

L’Empereur lança un ironique ricanement.

— La raison d’État qui motive les lâchetés, les compromissions, les turpitudes. Et j’ai eu peur, je l’avoue à un homme courageux, les poltrons seuls ne comprendraient pas un tel aveu. J’ai eu peur pour moi, pour ceux que j’aime, un mot de moi pouvant déchaîner un effroyable scandale.

Listcheü s’était dressé. Son attitude, ses regards exprimaient si éloquemment son admiration pour la confession courageuse faite par le Maître souverain de l’Empire, que son interlocuteur eut un triste sourire :

— Vous me comprenez, je le vois, et je vous en suis reconnaissant. Ainsi, dans le long mensonge du trône, j’aurai eu une heure où mon âme se sera exprimée librement.

Son sourire s’accentua, il murmura à voix si basse qu’il parlait évidemment pour lui seul.

— Et c’est avec un Français sans doute que j’aurai joui de cette heure d’indépendance.

Mais reprenant sa gravité un instant abandonnée :

— J’ai chassé la peur maintenant. Nul ne doit se montrer plus brave que moi. Sans cela, pourquoi serais-je le premier de l’Empire ? Votre conduite dicte la mienne.

Une pause imperceptible, et il reprit, de ce ton autoritaire qui force l’obéissance :

— Vous affirmez que Von Karch a volé le Français François de l’Étoile. Non, je m’exprime mal. Je suis sûr qu’il l’a volé, car ce misérable ne