Aller au contenu

Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
294
L’AÉROPLANE-FANTÔME

s’était enfoncée dans les taillis protecteurs du parc, dévalant la pente vers la rivière. Et pourtant, l’espion répondit du ton le plus naturel :

— Eux ? Dans leur appartement, ma belle Marga. J’ai laissé les portes ouvertes. Des captifs se méfient toujours des portes ouvertes. Ils passeront quelque temps avant d’oser profiter de la liberté à laquelle elles invitent. Quand ils se décideront, nous serons en sûreté. Je me défie un peu de toi, ma grande. Aussi je t’emmène avec moi jusqu’à Hambourg. Quand je quitterai ce port pour me confier à l’océan, dont les vagues ne conservent pas la trace d’un fugitif, je te laisserai à terre.

Elle chancela, émue jusqu’aux larmes. Elle pourrait joindre les Fairtime, devenir leur servante, leur esclave, conquérir à force d’abnégation, de dévouement, leur tendresse, effacer peut-être le souvenir de ce qu’elle avait été.

Son père et elle atteignirent la rive de la Havel. Accosté à un léger embarcadère de bois, un petit chaland à vapeur, le même qui, une première fois, avait conduit les Allemands à Hambourg, attendait sous pression ; la fumée noire s’échappant de la cheminée indiquait que l’on forçait les feux.

Von Karch fit passer sa fille devant lui sur la planche reliant le pont à l’embarcadère. Le mouvement lui permit d’échanger avec l’athlétique Siemens, debout auprès de la coupée, ces répliques :

— Les Anglais ?

— Dans la cale, Herr.

À ce moment même, l’hélice se mettait en branle, tordant ses pales sous les eaux, et le petit steamer, s’éloignant du rivage, s’engageait dans le courant paresseux de la rivière.

Seulement, si quelqu’un s’était penché sur le bordage de tribord, il eut certes montré un étonnement justifié. Le bateau entraînait, au bout d’un cordage, un passager qui, plongé dans l’eau jusqu’au cou, se faisait ainsi remorquer.

En regardant mieux, on eut reconnu le jeune Tril.

C’était lui, en effet, qui, ayant repris sa faction, avait vu les aides de Von Karch porter les prisonniers vers la rivière. Le gamin avait deviné que l’espion, que les amis de François allaient s’éloigner. Il n’aurait pas le temps d’avertir l’ingénieur. Aussi, sans mesurer le danger, il s’était élancé à la poursuite des fugitifs. La vue du bateau à vapeur avait transmué ses doutes en certitude.

— Il faut que je les suive, se dit-il. Il le faut, car moi seul pourrai renseigner le « patron » sur la direction prise.