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Page:Ivoi - L’Aéroplane fantôme.djvu/388

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L’AÉROPLANE-FANTÔME

Herr Von Karch interrompit le narrateur.

— Pourquoi refusais-tu ce moyen de salut ?

Le métis répondit :

— C’est vrai, j’oublie ; tu ne sais pas toi, tu viens d’Europe ; tu ne connais pas les Pah-Ah-Tun.

— Je l’avoue.

— Ce sont les anciens dieux des Mayas. Avant que les Espagnols aient introduit le catholicisme chez nous, il y avait les Dieux blanc, noir, rouge et jaune, commandant au vent, à la pluie, au soleil, aux récoltes. Leurs temples se dressaient sur des éminences artificielles entourées de bois sacrés ou Ah-Tun, dont les hommes, les prêtres exceptés, ne devaient pas fouler le sol sous peine de mort.

— Tu es catholique, Manuelito, et dès lors tu ne crois plus à ces Pah-Ah-Tun.

Le jeune métis secoua énergiquement la tête.

— Oh ! j’adore la Madone. Je brûle des cierges en son honneur ; seulement elle est très bonne et pardonne toujours, m’a-t-on dit à l’école. C’est pour cela que j’ai volé sa couronne ; tandis que mécontenter les Pah-Ah-Tun cela porte malheur ; ils ne pardonnent pas, eux.

La religion composite des Mayas tenait tout entière dans cette réponse. Sans doute, Von Karch avait entendu exprimer déjà des idées analogues, car abandonnant ce sujet, il ramena l’entretien au point intéressant :

— Tu ne te souciais donc pas d’entrer dans le bois interdit ?

— Au prix d’une fortune, j’aurais refusé.

L’homme me répéta alors :

— Donne ta couronne, je la briserai. Je vendrai l’or à Mérida, et sous cinq jours, les ténèbres couvrant la terre, viens m’attendre à la lisière du bois Ah-Tun. Je te remettrai l’argent. Les pièces d’or se ressemblent toutes. Personne ne reconnaîtra en elles le diadème de la Sainte Madone.

— Et cet homme ?

— C’était Brumsen. Il tint parole. Nous restâmes en rapports. Il se livrait, m’apprit-il, à des méditations, à des invocations aux dieux des quatre couleurs dans la forêt interdite. Souvent, il avait besoin d’objets que je me chargeais de lui procurer et que je lui rapportais à la lisière du fourré. Il y a environ une semaine, lassé de me sentir en poche l’argent du vol et de n’oser le dépenser à Errinac, où l’on se serait étonné de me voir si riche, je prétextai des affaires à Mérida. Dans une capitale, où la monnaie roule de toutes parts, on ne sait de quelle poche elle sort. Bref, je m’amusai follement ; la