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Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/13

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mée pour abattre le Tyran, et qui compte dans son sein des hommes comme l’illustre musicien Beethoven, comme le philosophe Fichte, comme le ministre prussien Stein, le grand homme d’État autrichien Metternich, le valeureux général Blücher…

D’un mouvement soudain, Espérat se glissa derrière le comptoir, déchira une page du livre de comptes de l’épicerie, prit la plume d’oie, dont Buzaguet se servait à l’ordinaire pour inscrire ses opérations commerciales, et écrivit rapidement, tout en suivant la conversation.

— Tout cela est gravé dans ma tête, affirma le négociant, gravé mot pour mot, monsieur le vicomte.

— Bien, mon ami. Le Comité royaliste sait — rappelez-le-lui néanmoins — que, dans la séance du Tugendbund, tenue en Bohême, le 2 février 1811, la résolution suivante fut adoptée.

Et d’une voix grave, le vicomte déclama :

Napoléon est un général invincible ; il faut renoncer à le battre sur les champs de bataille.

Espérat écrivit avec un sourire.

— Pas trop bête, le Tugendbund, fit-il.

Il faut donc arriver à le priver de l’instrument indispensable à ses combinaisons, de son armée, continua le gentilhomme.

— Moins malin le Tugendbund, plaisanta le gamin… Priver l’Empereur de son armée… si vous n’avez pas d’autre moyen de le vaincre…

Il s’interrompit, le vicomte parlait.

Or, les soldats ont pour l’usurpateur une adoration presque religieuse.

— Parbleu ! souligna Espérat.

La mort seule peut les détacher de lui.

Le jeune garçon frissonna :

— La mort ! Ils veulent tuer toute l’armée… Eh ! dites donc, est-ce que vous croyez qu’elle se laissera faire ?

La marche à suivre, continuait imperturbablement la voix claire de l’inconnu, est donc la suivante : multiplier les guerres, obliger Napoléon à recourir sans cesse à de nouvelles levées de conscrits, épuiser la France de soldats, la saigner à blanc[1].

Espérat s’était dressé à demi. Il ne riait plus. Il comprenait la gigantesque conspiration ourdie par l’Europe contre le pays de France.

— Ce plan, disait cependant le vicomte dont l’organe froid sonnait

  1. Le vicomte redit ici textuellement les termes du procès-verbal de la résolution adoptée par le Tugendbund dans la séance du 2 février 1811.