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Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/133

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Que ma lenteur à vous rendre mes devoirs ne vous fasse douter, ni de mon respect, ni de l’embarras que j’éprouve à me présenter en cette maison à une heure aussi insolite.

— J’ai pensé que vous aviez une bonne raison pour agir ainsi. Je n’ai donc pas hésité à vous recevoir. Veuillez vous asseoir, Monsieur, et me faire connaître à quel motif je dois la surprise agréable de votre visite.

Il est impossible de rendre le ton du gentilhomme. À toute la courtoisie de l’ancien régime, se mêlait une ironie indéfinissable et aussi une sorte de reproche voilé.

Cependant Vidal parut se ressaisir et refusant du geste le siège que le vieux comte lui désignait :

— Permettez que je reste debout, Monsieur le comte. C’est l’attitude qui convient à un suppliant…

— Un suppliant… Ah ! capitaine, vous avez été mon hôte, et je ne sache pas que j’aie rien fait pour vous apparaître sous la figure d’un tyran, près duquel la supplication soit nécessaire.

— Hélas ! Cette nécessité ne vient pas de vous, mais du sujet même de l’entretien que je sollicite.

M. de Rochegaule affecta la surprise, puis légèrement :

— Il est donc impossible de le traiter… en causant… comme à l’époque de votre convalescence ?

Marc secoua la tête :

— Oui.

— Oui. Pourquoi ? Que peut-il y avoir entre nous qui vous défende de vous souvenir que ma maison s’est ouverte… ?

— Devant l’officier mourant, acheva le capitaine. Rien au monde ne saurait me faire oublier cela… Mais je souffre… Tiré jusqu’ici par mon cœur, mon cœur me repousse en arrière, où d’autres souffrances, d’autres dangers se préparent. Ici, c’est mon rêve qui m’appelle, là-bas, c’est la France qui me réclame. Et brèves les minutes s’écoulent, un double devoir me déchire…

Et avec une tristesse poignante :

— En temps ordinaire, je mettrais des jours à vous dire ce que j’ai sur les lèvres… Aujourd’hui, je dois parler rapidement, avec la concision du soldat… et aussi avec la liberté d’un parent, d’un fils… moi qui vous suis étranger.

Le vieillard fit un mouvement et avec sécheresse :

— Un fils… l’image est audacieuse… Un fils, officier de l’usurpateur.

À son tour, Vidal eut un geste impatient :

— Le général qui prend le commandement de l’armée de France