Aller au contenu

Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais la réflexion, en dépit de la terrible éloquence des chiffres, ne parut pas impressionner l’Empereur. Évidemment il avait déjà supputé toutes les chances.

— Tu calcules comme un géomètre, Ney, plaisanta-t-il, j’aurais dû te confier le ministère des Finances. Poursuivons cependant. À ces 25.000 braves, nous ajouterons la division Gérard, 6.000 soldats, actuellement à 12 lieues d’ici, à Arcis-sur-Aube ; puis à Troyes, à 18 lieues, les 15,000 de la vieille garde, commandés par le maréchal Mortier… Ci : 46.000.

— Toujours trop peu, reprit Ney, contre 250.000.

— Attends encore. Lefebvre-Desnouettes arrive avec la cavalerie légère de la garde et quelques milliers de fantassins. Hamelinaye organise, à Troyes, la seconde division de réserve ; Pajol forme, sur la Seine, la cavalerie, rassemble les gardes nationales. À Paris, deux divisions de jeune garde se complètent ainsi que quelques bataillons de ligne. Plusieurs divisions, détachées de l’armée d’Espagne, s’avancent sur la route de Bordeaux. Macdonald arrive par les Ardennes avec 12.000 hommes. Tout cela réuni, portera nos effectifs à 80.000 soldats.

— Toujours trop peu, répéta avec entêtement le maréchal Ney. L’ennemi reçoit d’incessants renforts, nos 80.000 pauvres diables auront en face d’eux 400.000 adversaires… Un contre cinq, c’est trop.

Il se tut. Napoléon venait d’éclater de rire :

— Tu es prompt au découragement, Ney. Je t’ai gardé pour la fin l’appoint qui nous permettra de vaincre.

— Quoi, vous avez avec vous une armée de réserve, des régiments ?

— Oui.

— Où sont-ils ?

L’Empereur désigna d’un geste large les quatre points de l’horizon :

— Là… là… là… là… Ils sont partout, attendant une victoire pour se lever, pour venir à nous.

— Ah ! des espérances…

— Non une certitude.

— Une victoire… Sur quoi comptez-vous pour l’obtenir ?

— Sur moi.

Et avec une mélancolie sereine, Napoléon ajouta :

— Sur moi seul, puisque mes vieux compagnons d’armes comptent aujourd’hui leurs ennemis.

L’effet de ces simples paroles fut magique. Marmont et Kellermann firent un pas en avant :

— Non, nous ne les comptons plus.