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Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/258

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turés les armes à la main, et tout à coup la scène s’élevait au dernier degré du tragique.

Un silence pénible plana dans la ferme après cette phrase. Commissaires au Congrès, soldats, sentaient palpiter en leur poitrine un trouble soudain.

Un père était mis en lutte avec son fils.

L’homme tomberait en clamant : Vive l’Empereur ! L’enfant insulterait à son dernier râle en répondant : Vive le Roi !

Toute l’horreur de la guerre civile, de la lutte fratricide, se concentrait en ces deux êtres mis en présence par le vicomte d’Artin.

La surprise promise par ce dernier était trop violente ; elle déconcertait les assistants.

Mais le gentilhomme était incapable de s’émouvoir.

Il poursuivait l’exécution d’un plan implacable, et ce fut le sourire aux lèvres qu’il reprit :

— Allons, Messieurs, veuillez avancer et apprendre à ces traîtres le seul cri digne de sujets fidèles.

Bobèche promena au loin de lui un regard désespéré. Espérat ne bougea pas.

— Ne m’avez-vous pas entendu ? continua d’Artin. Et comme tous deux conservaient la même immobilité figée :

— Voulez-vous faire supposer à nos amis Alliés que vous refusez de pousser un hurrah à la gloire de Sa Majesté Louis XVIII.

Puis après un silence :

— Prenez y garde, vous nous avez amusés tout à l’heure, et il nous en coûterait d’avoir à vous traiter en rebelles, ou conspirateurs déguisés. — Il appuya sur ces derniers mots. — Mais l’intérêt général nous commande de passer outre à tous nos sentiments personnels. Donc, prenez garde.

— Oh ! murmura Milhuitcent, infliger cette suprême insulte à ceux qui m’ont élevé, aimé… Non, plutôt mourir… Crie, toi, Bobèche, sauve-toi… Tu diras à l’Empereur que je ne pouvais pas déchirer ainsi le cœur de mon père.

— Crier, vive le roi… moi, gronda le pitre.

— Oui.

— Tu es fou. Faire ça au vieux camarade du père Antoine, à un vieux de Valmy… Mais mon ancêtre me flanquerait sa malédiction.

— Eh bien ? questionna d’Artin avec impatience.

— Une minute, répliqua Bobèche, et vous verrez si l’on a de l’organe.