Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/28

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— Oh ! oui !

— Eh bien, écoute les nouvelles qui nous sont arrivées tandis que tu étais à Saint-Dizier. Napoléon, à Paris, cherche à rassembler une armée… Il pense que les ennemis, massés le long du Rhin, attendront le printemps pour envahir notre pays…

— Ils n’attendront pas ?

— Non. Dans quelques jours, demain peut-être, les alliés seront en France !

Et, dans le silence, d’une voix ardente que ses auditeurs ne lui connaissaient pas, appel de clairon succédant aux chants des orgues, le prêtre, ce ministre de charité et de pardon, parla en soldat :

— Pour les arrêter, vingt mille hommes à peine, débris de nos régiments décimés, sous les ordres de Macdonald, de Ney… C’est la retraite fatale… l’invasion s’avançant sur Paris. Tout ce qui pourra ralentir la marche de l’ennemi doit être tenté… L’immobiliser, ne fût-ce qu’une heure, c’est donner une heure à la Patrie pour préparer la lutte suprême… Et alors, les anciens, comme ton père adoptif, décrochent le vieux fusil de Valmy…, 1792… 1814, mêmes adversaires, mêmes dévoués, mêmes armes.

La main du curé de Stainville s’étendait vers la chaire de bois noir, sur laquelle s’allongeait le fusil qu’Espérat avait aussi longtemps accroché dans la salle à manger.

— Tous les braves gens se réunissent ; ils se groupent dans la forêt d’Argonne.

Les yeux du gamin lancèrent des flammes :

— Alors, dit-il, je n’en suis donc pas des braves gens, moi ?

— Si…, mais tu es un enfant.

Espérat haussa les épaules et crispant ses doigts sur la crosse du vieux fusil :

— Avec ça…, un enfant vaut un homme.

Puis suppliant :

— Vous irez bien, vous, Monsieur le Curé… vous l’avez avoué… et vous ne sauriez vous battre, vous, tandis que moi… Je sais déchirer la cartouche, je sais tirer… je sais marcher durant plusieurs heures… et pour ce qui est de mourir… les petits meurent aussi bien que les grands.

Et comme l’abbé Vaneur passait la main sur ses yeux, sans doute pour voiler une larme, Milhuitcent se tourna vers le père Tercelin :

— Et vous, vous qui m’avez consacré votre existence… vous auriez le courage d’aller vous faire tuer tout seul… sans moi ?…