Aller au contenu

Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Horrible !

— Le jour vint ;… le peloton s’aligna sur la place ;… le condamné fut amené en face de lui. Il demanda comme suprême faveur de commander le feu… et d’un ton calme, il lança dans l’air, devant la foule muette et tremblante : « Apprêtez armes… en joue… »

— Oh ! Vidal ! Vidal ! gémit le fils adoptif de M. Tercelin.

— Un instant encore, reprit le pope, et son âme était projetée dans l’éternité…, ce soldat était béatifié, beatificatus erat… Tout à coup, une des fenêtres du presbytère accolé à l’église du Saint-Voile s’ouvre ; une jeune fille parait, tend les bras et crie : Ne le tuez pas… Prenez-moi, mais qu’il vive !

— Lucile, murmurèrent les jeunes gens en courbant la tête.

— Et le capitaine fut épargné, conclut Ivan, ce qui prouve bien que la main du Tout-Puissant avait voulu écarter de moi jusqu’à l’ombre du remords.

Espérat eut une exclamation douloureuse.

Tout était clair à présent.

Lucile, enfermée chez le digne desservant de l’église du Saint-Voile, avait assisté invisible aux préparatifs de l’exécution… Mais à la dernière minute, son courage avait fléchi. La fiancée avait triomphé de la patriote. Elle n’avait plus vu qu’une chose, c’est que l’homme qu’elle aimait allait mourir. Et ouvrant la fenêtre, elle avait supplié !

— Me voici, faites de moi ce que vous voudrez, mais épargnez-le.

La suite de l’aventure n’était pas difficile à deviner. Enrik Bilmsen avait remis à M. de Metternich les lettres de Joséphine à la reine Hortense. Voilà pourquoi Napoléon avait rencontré, à Arcis-sur-Aube, l’armée russo-autrichienne conduite par le prince de Schwarzenberg.

La fatalité se montrait partout, même dans l’inspiration du pope ivrogne qui, pour fuir l’eau de la prison, avait amené la catastrophe.

Et Ivan se félicitait ; il semblait se glorifier de son action.

Une colère formidable bouillonna dans le cerveau des jeunes gens. Emporté par son courroux, Espérat frappa rudement du poing l’épaule de Platzov.

— Sais-tu ce que tu as fait, lâche coquin, gronda-t-il ?

— Je me suis tiré d’affaire, prononça avec peine le pope riant toujours…

— Tu as préparé la défaite de l’Empereur.

Ivan tressauta. Le vermillon de sa trogne de buveur s’effaça.

— Sa défaite, redit-il hébété ?

— Oui… Que la malédiction du ciel soit sur toi !