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Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/349

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Lucile ne sourcilla pas. L’insinuation, dans la bouche du vicomte, devenait une insulte. Pourtant la jeune femme répondit :

— Je le crois comme vous.

Sans en avoir conscience, d’Artin s’inclina. Décidément sa sœur grandissait à ses yeux et elle prenait son parti de l’aventure aussi légèrement qu’il l’eût fait lui-même.

— Eh bien donc, nous partirons quand il vous plaira.

— Je vous le répète, rien ne me retient ici.

— Alors dans une heure ?

— Oui, dans une heure.

Le vicomte sortit sur ces mots. Il était ravi. En se rendant auprès de sa sœur, il n’était pas exempt d’inquiétude sur la tournure de l’entretien. Il avait craint des reproches, un rappel violent des volontés ultimes du vieux comte de Rochegaule.

Au lieu de cela, il avait trouvé Lucile calme, froidement polie il est vrai, mais prête à se conformer à ses désirs. Évidemment il n’en demandait pas davantage.

Aussi, la porte refermée sur lui, descendit-il l’escalier en se frottant les mains :

— Allons, allons, monologuait-il, cette petite Lucile est plus raisonnable que je ne l’espérais.

Et avec un rire sardonique :

— Après tout… Enrik est un joli garçon, les femmes remarquent ces choses-là… Qui sait ? En servant le roi, j’aurai peut-être fait le bonheur de ma chère sœur…

Il s’interrompit pour ajouter après un silence :

— Ne te couronne pas des palmes civiques, vicomte. C’est là une bonne action qui ne te sera certes pas comptée dans le paradis !

Ses lèvres s’avancèrent en une moue dédaigneuse :

— Le paradis ;… encore une république, où les croquants ont accès comme les gentilshommes. Foin du paradis… Je n’accepterais d’y entrer que s’il contenait un quartier de la noblesse.

Tout en exhalant ces réflexions, d’Artin parvint dans la rue.

D’un pas pressé, il se rendit à la maison de poste, y commanda une berline de voyage, ordonna de l’atteler des meilleurs chevaux.

Dix minutes après, le carrosse de voyage attendait. De robustes « postiers » piaffaient.

Le gentilhomme examina l’attelage en connaisseur, hocha la tête d’un air approbateur, daigna manifester sa satisfaction au maître de poste.