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Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/396

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— Contenez-vous… La mort, qu’est-ce pour l’homme qui a passé sa vie en face d’elle… ? Rien… un départ… le début d’un sommeil ou le premier pas d’un voyage… Ne pleurez pas.

Le diplomate haletait. Informé des démarches d’Espérat, il se demandait, à cette heure tragique, si le contre-poison, donné par Ludovicus Varlot était assez puissant, si le jeune garçon avait bien compris les instructions du bachelier es drogueries, si même l’infusion tannique dont la carafe avait été remplie, avait été préparée selon les règles nécessaires.

L’angoisse l’étreignait à la gorge. Le doute horrible comprimait sa poitrine… une erreur, une maladresse et l’Empereur mourait.

Était-ce l’agonie du maître qui se déroulait en ce moment ?

Bouleversé, pris de vertige devant le tourbillon des pensées contradictoires qui se heurtaient dans son cerveau, M. de Caulaincourt se leva… fit un pas vers la porte.

— Où allez-vous ?

— Appeler… des secours…

— Trop tard, mon ami… Je vous prie d’ailleurs de n’en rien faire.

Mais le diplomate continuant à se rapprocher du seuil :

— Caulaincourt, je vous ordonne de ne pas me quitter… de laisser mon agonie s’achever tranquillement.

Jamais, à l’époque de sa toute-puissance, Napoléon n’avait plus énergiquement commandé.

Caulaincourt, dominé, revint auprès du lit, la tête basse, le cœur déchiré.

— Bien… vous voici raisonnable. Comprenez donc que je ne veux aucun éclat, aucun œil étranger fixé sur mon visage expirant :

Le diplomate ne répondit pas. Il se sentait paralysé par l’émotion, incapable de faire un geste, de prononcer une parole. Il ne songeait même plus. Son crâne empli de bourdonnements par l’afflux du sang que projetait son cœur en contractions éperdues, son crâne se refusait à l’éclosion d’une idée.

Et Napoléon parlait d’une voix de plus en plus faible.

On n’entendait presque plus celui dont l’organe avait ébranlé la vieille Europe jusqu’en ses fondements.

Il souffrait cruellement, mais ne s’interrompait pas, s’efforçant de se raidir contre la douleur.

Car le poison agissait. Le malade avait l’impression qu’un fer rouge était ballotté dans son estomac. Des spasmes nerveux le secouaient.

Une sueur abondante couvrait son front, ses joues. Sa respiration