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Page:Ivoi - La Mort de l’Aigle.djvu/95

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Alors Napoléon tirait de leur cachette, les soixante quatre millions économisés sur sa liste civile, il en confiait la libre disposition au général Drouot pour doter de fusils la dernière armée, pour reconstituer la garde impériale réduite à 12 000 fantassins, 3 000 cavaliers, et répartie en 8 divisions.

Un peu plus tard, c’était la mise en état des places fortes qui agitait les esprits. Et enfin la série des désastres.

L’armée de Schwarzenberg entrant en France par l’Alsace, le Jura, la Franche-Comté, celle de Blücher par Mayence. Molitor isolé en Hollande, menacé par Bernadotte : Hambourg bloqué avec sa garnison de 70.000 soldats de 1813. Le prince Eugène, en Italie, avec 40.000 hommes faisant courageusement tête à l’ennemi, mais tremblant de voir Murat l’attaquer en flanc avec ses régiments napolitains. Les troupes d’Espagne, dont une partie arrivait à marches forcées sur Paris, luttant désespérément sous les ordres des maréchaux Suchet et Soult, contre l’invasion anglo-espagnole qui avait forcé les passes des Pyrénées.

On s’arrêtait dans les rues, les uns étranglés par l’angoisse à l’aspect de l’Europe se ruant à la curée de la France ; les autres étalant une joie malsaine, affectant de dire que Napoléon seul était menacé, que le pays n’avait rien à craindre, qu’il retrouverait bientôt bonheur et puissance sous le sceptre paternel de Louis XVIII.

La situation empirait d’heure en heure.

Maintenant on savait que le maréchal Victor, le duc de Raguse, Ney, trop faibles pour arrêter le flot montant de l’invasion, se repliaient sur Langres, que Macdonald battait en retraite par Mézières.

On se confiait tout bas que les alliés, se rendant compte que, durant l’hiver, l’Empereur rassemblerait 500.000 hommes et sauverait la France, avaient résolu de l’accabler alors qu’il disposait à peine de 50.000 combattants.

Des agents royalistes colportaient sournoisement des imprimés, où étaient rapportées les paroles de Pozzo di Borgho, ce Corse dont l’envie, née de la gloire de Napoléon, avait fait le secrétaire intime d’Alexandre de Russie, l’affilié du Tugendbund, le lien de haine contre la patrie.

« Rois d’Europe, ne vous laissez pas intimider par l’idée d’aller braver chez lui le colosse qui vous a tous opprimés si longtemps. Le plus difficile est fait ; c’était de le ramener des bords de la Vistule aux bords du Rhin. Un pas vous sépare de Paris. Les forces prodigieuses de la France sont épuisées ; elles ont été dépensées au dehors ; il n’en reste rien au dedans. À peine votre épée aura-t-elle brisé le lien qui la tient enchaînée, qu’elle vous livrera aussitôt son oppresseur et le vôtre. »