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Page:Ivoi - Le Radium qui tue.djvu/397

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Mais déjà le bijoutier de la rue de la Paix avait recouvré tout son calme.

— Rien du tout, vous pensez bien. Seulement, je croyais le parc distant du Kremlin d’environ vingt-cinq verstes, et je me disais que le retard de vos compagnes s’expliquait. Un pareil voyage, une journée en plein bois ! Elles doivent songer plutôt à dormir qu’a venir au bal.

La fille du vice-gouverneur, comte Aïarouseff, éclata de rire.

— Vingt-cinq verstes ! Une heure d’automobile, cela n’est point à considérer. Quant à celles de mes amies que j’attends plus particulièrement, je suis certaine qu’elles auront ménagé leurs forces. Songez donc, Pira et Livine : la première, fille du général commandant la circonscription ; la seconde, née du prince Shabloï, le président de la magistrature, doivent se faire entendre ce soir. Elles y tiennent certainement, car elles chantent comme les saints anges peints sur les icônes. Des voix de velours et de cristal ; je les adore, parce que le ne suis pas jalouse. Et comme leur succès rejaillira sur toute la pension des Nobles Barines, vous pensez bien que la directrice, Argata Gratamoff, aura veillé sur elles comme sur des réclames vivantes.

De nouveau, elle lança un rire argentin.

— Si Argata Gratamoff se trouvait là, je ne dirais pas cela ; je vous avertis pour que vous ne répétiez pas.

Puis, avec la grâce protectrice d’une fille de noble lignée, elle conclut :

— Je pense que vous ne m’en voudrez plus de mes distractions. Je les ai rachetées par la franchise, n’est-ce pas ? Je vais vous laisser. Il faut que je parle à mon père, qu’il envoie un cosaque aux « Nobles Barines » ; car vraiment je ne sais que penser de ne voir arriver personne.

Elle s’était levée et, se faufilant à travers les groupes, elle se dirigea vers le salon, où le vice-gouverneur pérorait au milieu d’un cercle de fonctionnaires empressés à lui faire leur cour.

Sans façon, elle l’arracha à leur admiration intéressée pour lui confier son anxiété. Le comte eut un sourire.

— Bah ! ma chère Nège, ne te trouble pas. Les Jeunes personnes, tes amies, sont des presque femmes, et tu dois savoir que les femmes ne peuvent jamais arriver à l’heure.