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Page:Ivoi - Le Serment de Daalia.djvu/12

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Mais son ami lui coupa la parole :

— Tu ne comprends pas. Je me suis attaché, à toi. Après toi, aucun maître ne me serait plus possible. Je dis : je m’en fiche, parce que je me fais sauter aussi.

– Tu es fou !

– Pas plus que toi.

— Oh ! mais moi…

– Tu vas dire des bêtises. La mort n’est qu’un voyage… un peu long. Je t’accompagne, c’est mon devoir de domestique et d’ami. Voilà tout.

Une petite larme tremblota au bord des paupières d’Albin. Les mains du maître étreignirent nerveusement celles du valet, et, bras dessus, bras dessous, les futurs suicidés gagnèrent le Café Richissime, où, comme on l’a vu, le cabinet 24 leur fut affecté par Baptiste, garçon habile qui avait trouvé le moyen d’arrondir ses pourboires en incitant au pugilat les clients de la maison.

Maintenant, ils dégustaient les chefs-d’œuvre d’une cuisine savante. Deux bouteilles, qu’un noble enduit de poussière signalait au respect des buveurs, épanchaient peu à peu dans leurs verres leur flot pourpre et parfumé. Des tons roses montaient aux joues des jeunes gens, leurs yeux avaient des scintillements.

– Mais, s’écria tout à coup Morlaix, n’avais-tu pas, en Lorraine, des oncles, ou tout au moins un oncle ?

Albin haussa les épaules :

– Ne te reprends pas. J’avais des oncles, exactement au nombre de deux. Pourquoi ta question ?

– Parce qu’un parent peut désirer empêcher le suicide d’un neveu.

– La charité, s’il vous plaît !… Jamais !

Puis, avec un calme dont son interlocuteur se sentit troublé, Gravelotte poursuivit :

– Mon père avait deux frères. Je ne m’adresserai ni à l’un ni à l’autre, pour deux raisons péremptoires : le premier s’est embarqué pour l’Extrême-Orient, et jamais plus n’a donné de ses nouvelles, c’était l’oncle François ; le second, l’oncle Ulrich, a racheté à vil prix les biens de mon père et je ne veux pas savoir ce qu’il est devenu.