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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/144

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Ses yeux avaient des lueurs. Nul dans l’assistance n’osa élever la voix. La calomnie est lâche, elle n’ose mordre qui l’attaque en face.

Une joie débordante avait envahi l’âme de la comtesse. L’époux savait ce qu’elle avait souffert.

Et soutenue par lui, retrouvant tout son courage avec l’assurance de n’être plus seule à combattre la foule, stupide en ses mépris comme en ses enthousiasmes, elle dit d’une voix profonde, qui sonna telle une pure vibration de cristal :

— Sur la croix, emblème sacré de notre Pologne, sur ma vie, sur la tête de l’héritier des Walewski, je jure de répéter fidèlement les paroles de S. M. l’Empereur.

Elle était si belle en parlant ainsi ; il y avait en elle tant de noblesse, tant de sereine chasteté, que les plus acharnés à la dénigrer courbèrent la tête, n’osant supporter le poids de ses regards bleus.

Un instant elle tourna les yeux vers le comte.

Il l’encouragea d’un signe de tête.

— Ces paroles, reprit-elle avec éclat, les voici : Sur mon honneur de général, si je triomphe de la coalition ourdie contre la France, la Pologne triomphera avec moi. France et Pologne seront sœurs !

Des cris enthousiastes éclataient. Des sabres étaient brandis. La Pologne venait de signer le pacte de sang avec la terre de Gaule.

De ce jour, le sang des soldats de France, le sang des fils de la terre polonaise, s’étaient mêlés sur les champs de bataille. La mort avait fauché indifféremment dans les deux races, faisant tomber les hommes dans les guérets, faisant monter vers le ciel, telle une gerbe de dévouement, de sacrifice, l’acclamation unique de deux peuples indissolublement liés dans la bonne et la mauvaise fortune.

— Vive l’Empereur !

Et puis la comtesse arrivait au jour présent.

Sa tête se courbait, une pâleur sépulcrale couvrait son visage.

Écrasées sous la botte brutale du monde, France et Pologne, à bout de forces, à bout de sang, après avoir poussé ensemble leur cri de guerre, se renvoyaient des deux extrémités de l’Europe, sublime et affreuse conclusion du pacte de loyale alliance, leurs râles d’agonisantes.

Et son esprit bouleversé, passant du réel au fantastique, il semblait à la noble femme qu’elle se trouvait seule, au milieu d’une plaine immense, bordée par un horizon rouge encore des canonnades à peine éteintes.

Partout des morts, partout des blessures, partout du sang. Un immense soupir d’angoisse s’élevait, comme la respiration haletante de ce