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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/153

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Les commissaires de la Sainte-Alliance, comprenant quelle responsabilité pèserait sur eux si Napoléon succombait, perdirent la tête. Ils obtinrent de leur… prisonnier qu’il se travestît en officier autrichien.

Sous cet uniforme, l’Empereur prit les devants comme courrier, non sans avoir adressé à ses gardiens les paroles suivantes :

— Je consens à ce déguisement, car il aura au moins pour résultat d’écarter de vous le danger de ma présence.

Puis se tournant vers le général Bertrand :

— Cet acte passera peut-être inaperçu, ou, si l’on en parle, on le jugera mal, et c’est pourtant l’acte le plus hardi de ma vie.

Napoléon disait vrai.

On devait dîner à La Calade.

L’Empereur-courrier descendit à l’auberge convenue, où la maîtresse du logis, sans le reconnaître, lui tint des propos infâmes contre lui-même, tout en aiguisant un large couteau de cuisine.

Surpris, l’exilé lui demanda :

— L’Empereur vous aurait-il fait du mal ?

Et elle répliqua, rageuse, menaçante :

— Il ne m’a rien fait, n’importe, je prépare l’outil, si quelqu’un veut s’en servir.

Elle poussa des hurlements de joie, lorsque la voiture qui contenait les commissaires arriva.

Un courrier, du nom de Vernet, y avait remplacé l’Empereur. Les glaces étaient brisées, le coffre maculé de boue, car à Lambesc et à Saint-Cannat, des misérables avaient assailli le véhicule à coups de pierres et d’immondices.

Les autorités finirent par s’émouvoir.

Des détachements de gendarmerie, de soldats, furent chargés de protéger la marche de l’illustre proscrit.

À Brignoles, le populaire, ivre de vin et de discours sanguinaires, dut être repoussé de vive force.

Une seule étape devait consoler Napoléon. Il s’arrêta au château de Bouillidou, où sa sœur Pauline, la bonne créature, l’attendait et lui avait ménagé une réception affectueuse.

Enfin, l’exilé atteignit Fréjus, patrie de Tacite, puis Saint-Raphaël, où il s’embarqua sur la frégate anglaise l’Undaunted.

Le général Schouvaloff et le comte de Waldbourg-Truchess le quittèrent en cet endroit. Le général autrichien Koller et le colonel Campbell seuls, firent la traversée avec lui ; le premier pour assister à son