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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/197

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ne pouvez demeurer ici, je le vois avec douleur ; du reste, espérons que Dieu, qui vous a protégé au milieu de tant de batailles, vous protégera encore une fois[1].

Soudain la fermeté de Lætitia l’abandonna. Elle enlaça l’Empereur et se prit à pleurer silencieusement sur son épaule.

Jusqu’alors Pauline n’avait pas prononcé une parole.

Mais à ce moment, la jolie sœur de l’Empereur s’élança impétueusement vers lui :

— Non, ne pars pas ; notre mère parle en mère d’Empereur ; moi, je tremble comme la sœur d’un homme. En te précipitant à bas de ton trône, le ciel a manifestement voulu te sauver. Toi, l’héritier de la Révolution, le glorificateur du drapeau tricolore, tu devais fatalement succomber sous les coups de l’Europe liguée contre la liberté, contre la France qui l’avait proclamée. Ne rentre pas dans la fournaise. Crains que la clémence d’En-Haut ne se lasse.

— Taisez-vous, Pauline, ordonna Mme Lætitia.

Mais la princesse ne tint aucun compte de l’injonction :

— Ton entreprise est, non seulement hasardeuse, mais folle. Campbell te surveille. Essaie de réunir tes vaisseaux, d’embarquer tes soldats. L’Europe sera avertie avant que tu aies eu le temps de prendre la mer.

L’Empereur hocha la tête et doucement :

— Elle a raison. Le cœur de Milhuitcent se serra. Est-ce que Napoléon allait céder ? Est-ce qu’il se résignerait à être la victime soumise de la Sainte-Alliance ?

Dans son trouble, il oublia toute prudence, fit un pas en avant et se trouva dans l’encadrement de la baie d’entrée.

Au bruit, l’Empereur s’était retourné.

— Qu’est-ce ? fit-il sèchement.

— Une lettre pour Mme de Walewska, balbutia le jeune homme, une lettre du colonel Campbell.

— De Campbell ?

Déjà la comtesse l’avait prise et en faisait sauter le cachet.

Elle la parcourut des yeux et avec surprise, elle murmura :

— Que veut dire cet Anglais ?

— Qu’écrit donc ce digne colonel ? questionna Napoléon en s’arrachant à l’étreinte de sa mère.

— Lisez, Sire, lisez.

  1. Mémoires de Mme de Walewska. — Récit de Napoléon.