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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/226

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L’Inconstant, ce nom fit passer un frisson sur l’épiderme des assistants. Tous savaient que c’était là le nom inscrit au tableau d’arrière du brick de l’empereur Napoléon.

Nul ne parlait plus, les cœurs sautaient dans les poitrines, les yeux comme agrandis, comme prêts à jaillir de leurs orbites, se rivaient, avec une terrible fixité, sur les bâtiments qui, lentement, se mouvaient à la surface des eaux.

Bientôt on put distinguer les détails de la mâture, le pavillon elbois flottant au vent.

Plus de doute ; c’était Lui !

Et ce fut une explosion délirante, après le silence angoissé de tout à l’heure.

Les yeux hagards, fous de joie, les partisans se serraient les mains, sautaient, chantaient, en répétant avec une allégresse éperdue :

— Lui ! c’est Lui.

Cependant M. de La Valette se concertait rapidement avec les chefs.

Après quoi, il commanda d’une voix forte.

— Tout le monde en armes.

Et quand les partisans, prêts à partir, se furent rangés autour de lui :

— Mes amis, reprit-il, selon toute apparence, c’est ici même, dans le golfe Jouan, que S. M. l’Empereur va poser le pied sur la terre de France.

— Vive l’Empereur, clamèrent les Cinquante !

— Oui, vive l’Empereur, qui a pu échapper aux navires chargés de surveiller l’île d’Elbe. Les premières difficultés sont vaincues ; il s’agit d’empêcher d’autres obstacles de naître.

Et lentement.

— Le nombre de bâtiments indique que l’Empereur est accompagné de sa petite armée d’Elbe, or, un débarquement est toujours une opération délicate, à laquelle un ennemi peut facilement s’opposer. Dans un pays, royaliste depuis Toulon jusqu’à Marseille, les ennemis sont nombreux. Il faut les réduire à l’impuissance.

— Oui, oui, réduisons-les à l’impuissance.

— Et pour cela, occupons le point de débarquement. Chargez les armes et fusillez quiconque manifesterait des dispositions hostiles.

— Mort aux traîtres ! Mort aux ennemis de notre gloire, rugirent cent voix frémissantes.

Comme une bande de loups, les partisans dévalèrent les pentes et se