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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/285

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— Tout cela me semble aller à l’encontre de ce que vous exprimiez tout à l’heure.

— Oh ! naïf ! naïf seigneur, soupira le publiciste. Vous prenez au sérieux ces commérages de journaux.

— N’est-ce pas l’expression des pensées du peuple ?

Le favori haussa les épaules :

— Est-ce que le peuple a une pensée politique ? Une pensée politique, mon cher Comte, exige une instruction complète, approfondie, qu’une élite seulement est susceptible d’acquérir. Ah ! si le peuple arrivait à pouvoir donner cette instruction à ses enfants, il jugerait ; mais c’est là une hypothèse folle, et le peuple, incapable de se guider lui-même à raison de son ignorance, se laissera toujours guider par des ambitieux plus éclairés que lui.

— S’il est conduit par les Débats, je ne me plaindrai pas.

Le gazetier eut un rire sec :

— Je vous admire, Comte. D’après ce que l’on m’avait dit de vous, je vous croyais plus sceptique. Enfin, je ne veux pas jouer plus longtemps avec votre zèle pour le roi. Tenez, voici l’article qui paraîtra demain aux Débats, après la fuite de Sa Majesté, en même place que la chronique dont je viens de vous donner connaissance.

Et avec un ricanement, il poursuivit :

— Ceci m’a été communiqué à l’imprimerie. Écoutez, vertueux gentilhomme.

« Débats, 20 mars. — La famille des Bourbons est partie cette nuit. Paris offre l’aspect de la sécurité et de la joie.

« Les boulevards sont couverts d’une foule immense, impatiente de voir l’armée et le héros qui lui est rendu.

« Le petit nombre des troupes, qu’on avait eu l’espoir insensé de lui opposer, s’est rallié aux aigles.

« Sa Majesté l’Empereur a traversé deux cents lieues de pays avec la rapidité de l’éclair, au milieu d’une population saisie d’admiration et de respect.

Le journaliste jeta les feuilles sur le sol :

— Pouah ! fit-il, cela donne la nausée… Que pensez-vous de l’expression de la volonté du peuple ?

D’Artin s’éloigna sans répondre.

Le soir, il se rendit place du Carrousel.

La place était déserte.

Les curieux qui, tout le jour, y avaient stationné afin de se rendre