Aller au contenu

Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rendu à la liberté, le petit Jacob Gœterlingue n’en usa pas sur le champ. Il passa la nuit à l’hôtel Villardon, mais de grand matin, il sortit, et tout le jour, il vagabonda dans Paris.

La ville semblait avoir la fièvre. On eût cru sentir son cœur battre. Comme si la fougue de l’empereur se fût communiquée à la population, tout se pressait, s’agitait. Les nouvelles se succédaient, apprenant au public les détails de la marche triomphale, unique dans l’histoire, de la côte méditerranéenne à la capitale.

Les boulevards prenaient un air de fête. Des bandes de badauds assiégeaient les Tuileries, voulant obtenir des quelques fonctionnaires restés à la garde du palais, des renseignements sur la marche de Napoléon, sur l’heure probable de son arrivée, etc., etc.

Jacob était partout, chantant, riant, moineau babillard de la cité géante en mal de héros.

Assez tard dans la nuit, il s’endormit dans la cour du Carrousel. Un tumulte inexprimable tira le petit bonhomme de sa torpeur. Il se leva, se frotta les yeux. La place, la cour d’honneur étaient littéralement bondées de monde.

Alors, il se faufile, se glisse entre les groupes de militaires, de bourgeois, unis dans une même pensée.

Le voici dans la cour où sont rassemblés les anciens fonctionnaires de l’Empire, où M. de La Valette, Tercelin, l’abbé Vaneur, le pope Ivan, Capeluche, les Cinquante, qui sont venus en avant-garde de l’Empereur, se paient de leur dévouement en se plaçant au mieux pour assister à la Restauration Impériale, qui est un peu leur ouvrage.

Derrière eux, Jacob gravit l’escalier d’honneur. Au haut des degrés, il s’arrête comme eux.

Et soudain, cent mille voix rugissent :

— Vive l’Empereur !

Cela résonne dans l’espace comme la clameur de l’ouragan.

Et là-bas, sur la place, le gamin médusé aperçoit l’homme prédestiné.

On a dételé ses chevaux, on l’a hissé sur les épaules d’inconnus, et une cohue ivre d’amour, d’admiration, déferle à ses pieds, dominée par la silhouette étrange et dominatrice du petit chapeau qui a jeté à terre tant de couronnes.

Et les porteurs de l’Empereur-dieu avancent toujours. Leur foule ardente gravit l’escalier d’honneur, qui jamais ne vit pareil enthousiasme.

Puis il passe, emporté par la trombe humaine qui crie, qui pleure, qui semble folle de bonheur.