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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/292

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La chose s’expliquait aisément. Au milieu de l’exode de la cour, des compagnies rouges, de la garde royale, un gentilhomme voyageant seul ne pouvait attirer l’attention.

Ainsi, on arriva à Lille.

Le roi l’avait quitté la veille, dans la crainte d’être retenu prisonnier par la garnison, et s’était enfui en Belgique, à Gand.

Le drapeau tricolore flottait sur les édifices. Militaires, civils, remplissaient les rues, faisant vibrer l’air d’incessantes acclamations.

— Vive l’Empereur !

Les bonnes gens de Flandre, tout comme les populations du Dauphiné ou du Lyonnais, semblaient respirer à l’aise, depuis que la France avait secoué le joug des souverains imposés par l’Europe victorieuse.

La tache ineffaçable de la Restauration s’accusait. S’être faite sous la pression des armées de l’étranger.

Sur la place de l’hôtel de ville, des baladins soulevaient les applaudissements frénétiques de la foule par ces mots terribles, que Bobèche regretta de n’avoir pas lancés lui-même[1].

— Les émigrés ont une politesse ignorée du temps de l’Autre.

— Oui, la politesse de l’ancienne royauté.

— Vous le reconnaissez. Ils ont donc raison de déclarer qu’ils sont talons rouges.

— Ah ! bien sûr. Talons rouges, parbleu, ils peuvent les avoir. Ils ont assez marché dans le sang français pour arriver aux Tuileries.

Ravis de voir toute la nation en communion d’idées, persuadés qu’ils touchaient au but de leur voyage, Espérat et ses amis descendirent à l’hôtel du Bœuf Rouge et se mirent en quête de ceux qu’ils poursuivaient.

Pour activer les recherches, ils se divisèrent.

Espérat et Jacob tirèrent de leur côté.

Or, ils n’avaient pas fait cinq cents pas, quand une large porte charretière, ouverte en grand, sollicita leurs regards.

Une cour pavée s’étendait en arrière, et tout au fond, un hangar abritait plusieurs véhicules de formes et de capacités variées.

Au mur, du reste, brimbalait une enseigne, qui eût levé tous les doutes, si les jeunes gens en avaient eu.

La plaque de tôle découpée portait cette indication :

J. Loosteroogie
loue voitures et chevaux
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.
  1. Voir La Mort de l’Aigle.