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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/295

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Boutori, un homme du Midi, exubérant, disert, agité, les tint une demi-heure pour arriver à leur confier que, lui non plus, n’avait pu satisfaire le comte d’Artin, vu que toute son écurie avait été réquisitionnée par les émigrés. Force lui avait été d’adresser le client à un sien ami, fermier à La Marfais, sur la route de Valenciennes, lequel récemment s’était rendu acquéreur d’un lot de chevaux de réforme.

Déduction faite des paroles inutiles, les jeunes gens apprirent que la ferme de La Marfais était distante de trois kilomètres, que le maître de la maison avait nom Landry, et qu’en tout état de cause, sa cave contenait d’excellente bière de Louvain, dont il faisait volontiers goûter à ceux qui lui rendaient visite.

Non sans peine, Espérat réussit à se débarrasser du verbeux personnage. La nuit venait. Il fallut remettre au lendemain la course à La Marfais.

À l’hôtel, du reste, où il retrouva ses compagnons, il commença à douter du succès de son entreprise.

Marc Vidal, Henry, n’avaient découvert aucun indice.

Mais Bobèche avait causé longuement avec le patron de l’hôtel de la Violette Impériale, ci-devant du Lys Royal, ci-devant de la Violette Impériale.

Cet aubergiste, jadis pitre, soucieux avant tout de ses intérêts, avait résolu le difficile problème de l’enseigne politique.

Avant 1814, un panneau peint représentait une énorme touffe de violettes, avec, en exergue : Aux Violettes impériales.

L’abdication de Fontainebleau survint. En homme avisé, l’hôtelier retourna son panneau et fit peindre sur la face indemne une gerbe de lys, surmontant l’inscription : Aux Lys royaux.

Désormais, les changements de gouvernement ne l’atteindraient plus. Une simple volte-face de son enseigne, et l’hôtellerie serait, suivant le goût du jour, à la Violette ou au Lys[1].

Si les convictions politiques du commerçant manquaient de solidité, son amour des commérages demeurait ferme comme un roc.

Aussi Bobèche apprit-il sans difficulté que le comte de Rochegaule d’Artin était descendu à l’hôtel avec une jeune dame malade et deux serviteurs, qu’il avait trouvé des chevaux et que, lui et sa suite, avaient quitté Lille par la route de Valenciennes.

Dès le lendemain on se remettrait à la poursuite du fugitif.

Doux furent les songes de Milhuitcent. Ah ! il lui importait peu d’être

  1. Mémoires de Sadot-Pinlan, connus sous le titre, Souvenir d’un badaud lillois.