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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/311

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Lorsqu’il exténue ses amis, on peut être certain que des événements considérables sont proches.

Sans doute, l’argument frappa le comte, car il se leva tout d’une pièce.

— Je verrai de Bourmont cette nuit même. Veuillez m’attendre quelques minutes. Le temps de devenir le campagnard que vous avez consenti à conduire.

Il ouvrit la porte et disparut.

Un silence suivit sa sortie.

Les officiers présents, malheureux qui, sous la pression d’embarras d’argent, sous le masque de la fidélité au roi, préparaient la trahison infâme, n’osaient se regarder entre eux.

Peut-être que si, à cette heure, un homme de cœur avait brusquement surgi, s’il leur avait crié :

— Revenez à vous. Le triomphe de la royauté, c’est la défaite de la France. Louis XVIII ne peut remonter sur le trône qu’en marchant sur les cadavres des fils de Gaule. C’est la patrie sanglante que vous allez jeter sous les pieds des chevaux de l’étranger. Ouvrez les yeux à la lumière. Soldats français, oubliez vos ennuis personnels, vos préférences, pour défendre la terre des ancêtres, cette terre sainte qui a porté vos premiers pas.

Oh ! certainement, ces officiers égarés auraient reculé devant la misérable existence des traîtres.

Mais nul ne devait faire entendre la voix de l’honneur. Nul ne devait s’opposer au crime monstrueux, au parricide concerté entre les assistants, et dirigé par le comte d’Artin, infatigable dans sa haine.

D’Artin cependant s’habillait dans la salle voisine.

Tout en passant le pantalon, la blouse du campagnard, il monologuait :

— Oui, la partie est belle. La faveur de Blücher, celle de Wellington commanderont celle du roi. Et puis vraiment, ma maladresse de Mollsheim et ses suites seront réparées de main de maître.

Puis arrangeant ses cheveux sous le grand chapeau des paysans de la frontière :

— Il faut supprimer Espérat.

Il eut un sourire cruel :

— C’est mon mauvais génie, ce drôle. Libre, il fera échouer toutes mes combinaisons. Oui, mais le tuer moi-même,… impossible. Trop de gens le tiennent pour mon frère… Qui pourra m’en débarrasser ?