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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/322

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XIII

Où Espérat voit l’ennemi autrement qu’il ne l’espérait


— Eh bien quoi, que se passe-t-il ?

— Je ne sais.

— Les estafettes ne sont pas rentrées ?

— Non, feld-maréchal.

— Le diable vous grille tous !

Et le vieux feld-maréchal Blücher écrasa la table d’un formidable coup de poing.

Tout blanc, sec, anguleux, les traits durs, l’œil perçant, le généralissime de l’armée prussienne marchait avec agitation dans le jardinet de la maison de Namur, où il avait élu domicile.

Vu la chaleur étouffante de cette journée du 15 juin, il avait fait transporter une table et des sièges en plein air ; mais son travail avait été bientôt interrompu par le bruit d’une canonnade lointaine.

Sur son injonction, son chef d’état-major, demeuré auprès de lui, avait expédié plusieurs officiers d’ordonnance aux renseignements.

La mauvaise humeur du maréchal provenait de ce que ces cavaliers tardaient à revenir.

Son juron : Le diable vous grille tous ! ne parut pas avoir ému son chef d’état-major.

C’était un vieux serviteur du nom d’Olfuschs, aujourd’hui major, et qui avait débuté dans la carrière des armes, par l’emploi modeste de valet de chambre de Blücher.

Seul peut-être dans toute l’armée, il jouissait de son franc parler devant l’irascible maréchal.

— Là, là, ne souhaitez pas cela, illustre Blücher, car si le diable me grille un jour, il vous aura grillé vous-même, à quinze pas devant moi, distance réglementaire.