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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/363

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— Jugez-en, s’empressa d’interrompre d’Artin. Au bruit du canon de Ligny, Drouet d’Erlon avait marché au secours de l’usurpateur. Il est arrivé en arrière de Bry, au moment où vous évacuiez Saint-Amand et Ligny. Ses quarante-six pièces de canon sont en batterie. Il va commander le feu, enfermer vos troupes démoralisées entre ses régiments frais et les soldats exaltés qui vous ont arraché vos positions. Vous êtes entouré, cerné, c’est bien la destruction entière des divisions prussiennes.

Le comte s’arrêta un instant.

Un grognement colère fut la seule réponse de Blücher. Cet homme entêté refusait de se rendre à l’évidence du raisonnement.

— Eh bien, acheva d’Artin avec une ironie trop légère pour être perçue par son interlocuteur, à ce moment décisif, un courrier de Ney rejoint d’Erlon, lui intime l’ordre de se porter sans délai sur les Quatre-Bras, et d’Erlon, par un sentiment exagéré de la discipline, obéit, vous laissant le chemin libre, permettant à vos soldats épuisés d’échapper aux vainqueurs.

Dans la cour, Espérat comprimait de ses mains crispées sa poitrine haletante, où son cœur battait à coups sourds.

Le jeune homme, secoué par l’émotion, tremblait que bruit de ces palpitations furieuses n’arrivassent jusqu’aux causeurs.

Une tristesse amère montait en lui.

Ainsi l’Empereur était victorieux, mais l’indécision de ses généraux lui enlevait les plus beaux résultats de sa victoire.

Est-ce que d’Artin avait raison ?

Mais Blücher parlait :

— Ma foi, Monsieur le comte, c’est en effet un incident heureux, quoique, à vrai dire, mon armée soit dispersée et tout aussi impuissante pour l’heure que si elle était détruite.

— Oui, mais elle ne l’est pas, et dans vingt-quatre heures, vous aurez bien rassemblé une cinquantaine de mille combattants…

— Je l’espère.

— Avec lesquels, vous pourrez marcher au secours de Wellington, que cet enragé Buonaparte va certainement attaquer.

Le feld-maréchal hochait lentement la tête :

— Je comprends son plan, trop tard. Nous diviser, nous accabler