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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/400

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XX

Le dernier carré


La mêlée est une agonie.

C’est la première étape d’une Passion moderne qui s’achèvera sur le roc brûlant de Sainte-Hélène ; l’Empereur a compris que c’était la fin. Des larmes ont un instant obscurci son clair regard, mais il s’est ressaisi.

À l’abri des bataillons de la Vieille Garde formés en carrés, il a essayé, sous une grêle de feux, de rallier ses troupes décimées, disloquées par l’effort des Prussiens et des Anglais.

Sous les balles, les boulets, il change son cheval gris, affolé, contre un autre que lui donne le page Gudin, cet enfant de dix-sept ans qui, en un jour, a appris à narguer la mort, à mépriser les projectiles.

Rien ne peut arrêter la déroute.

Un contre trente, la Vieille Garde résiste seule. Ses tambours battent la Grenadière et leurs roulements semblent le glas de l’épopée grandiose ouverte par la Révolution.

Fleurus, Valmy, Zurich, Wissembourg, Austerlitz, Iéna, Friedland, Wagram, tous ces noms qui chantent dans les claquements du drapeau tricolore agonisent formidablement.

Le carré de Cambronne, un instant abrité par les autres est parvenu entre la Belle-Alliance et la maison d’Écosse, près du mamelon où tout le jour s’est tenu Napoléon.

Le 2e bataillon du 3e grenadiers de la garde se reforme, serre les rangs, on croirait qu’il choisit sa place pour mourir.

L’Empereur aussi cherche la mort. Mais le maréchal Soult, les généraux Bertrand, Drouot, de Flahaut, Gourgaud, La Bédoyère l’entourent, l’épée à la main.

Ils l’entraînent, le forcent à passer derrière le carré de Cambronne.

Là a lieu la dernière discussion.