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Page:Ivoi - Les Cinquante.djvu/9

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— Le chef de qui ?

— De braves gens qui ont versé dans les Vosges, dans l’Argonne, ce que le destin a voulu leur prendre de sang ; et qui désirent répandre le reste pour le service de l’Empereur.

Le ton de la réponse impressionna le comte.

— Vous les connaissez ?

— Tous.

— Et vous en répondez ?

— Comme de moi-même.

— Pourquoi m’avoir appelé de préférence à de plus dignes ?

— Parce que nul n’est plus dévoué au proscrit.

Un silence suivit. Évidemment M. de La Valette se consultait. Enfin il marqua un mouvement violent d’homme qui prend une résolution désespérée.

— Après tout, on ne meurt qu’une fois. J’accepte. Conduisez-moi vers vos amis.

Espérat mit un genou en terre et d’un accent profond, dont son interlocuteur se sentit pénétré jusqu’au fond de l’âme :

— À dater de ce jour, Monsieur le comte, vos ordres seront ma seule loi.

Puis se redressant :

— Suivez-moi ; une sente existe ici près, nous l’utiliserons, car la nuit nous gagne, et votre cheval ne trouverait plus sa route dans le taillis.

C’était vrai. Les dernières clartés du couchant mouraient à la cime des arbres, et les ténèbres semblaient monter du sol.

À cinquante mètres environ, les deux personnages rencontrèrent le sentier annoncé ; leur marche devint plus rapide.

Le comte examinait le chemin. On descendait au fond des gorges. De temps à autre, les fers du cheval sonnaient sur des pointes de grès trouant le manteau de terre végétale.

L’obscurité augmentait d’instant en instant.

— Est-ce loin encore ? demanda M. de La Valette. Je vois arriver le moment où, en dépit de ce sentier, il nous deviendra impossible de nous diriger.

— Nous sommes arrivés, Monsieur le comte. Seulement il vous faudra mettre pied à terre.

Sans observation, le gentilhomme sauta auprès de son guide.

— Laissez votre cheval, on en prendra soin.

La Valette abandonna les rênes et suivit Espérat.