Aller au contenu

Page:Ivoi - Les grands explorateurs. La Mission Marchand.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vingt pas séparent les deux hommes.

Ils sont là, l’un en face de l’autre, immobiles, croisant leurs regards ; leurs visages contractés, leur pâleur disent que la fatalité antique s’est appesantie sur eux.

Et tout à coup le capitaine bondit en avant.

Dans une course folle, il rejoint le commandant. Il veut parler ; mais aucun mot ne sort de ses lèvres.

Il essaie encore inutilement, puis soudain, il jette ses bras autour du cou du chef bien-aimé et il pleure sur son épaule.

Et lentement des larmes coulent sur les joues de Marchand.

Il a compris.

C’est la reculade, c’est la défaite, c’est l’abandon du Nil, c’est l’agonie de son rêve.

Dans une muette étreinte ils se disent :

— Nous sommes deux à souffrir ; chacun de nous pleure sur le cœur d’un ami.

Puis, énergiques et fiers, ils dominent leur émotion. Ils se prennent le bras et lentement, sombres et taciturnes, ils regagnent le logis provisoire où Marchand a vécu ses dernières heures d’espoir.

Ah ! ils comprennent bien, les vaillants officiers.

Ils n’accusent pas la France qui les abandonne.

Ils savent que la patrie les sacrifie à des nécessités inéluctables.

Elle ne peut s’engager dans une guerre avec l’Angleterre. Elle a cédé, ce que les diplomates britanniques avaient prévu, calculé à l’avance.

Ils savent bien que le Rhin doit prendre le pas sur le Nil.

Mais ils souffrent comme un père qui voit mourir son enfant.

Au petit on a tout donné, son cœur, son âme, son temps, sa pensée. Le père lui a offert ses fatigues, ses tristesses, ses joies.

Il est l’avenir.

Il est l’espoir.

C’est en lui que l’on retrouvera le bonheur dont sa chère présence vous a obligé à vous sevrer. C’est par lui qu’on redeviendra jeune, brillant ; par lui que l’on réussira, que l’on triomphera, que l’on goûtera toutes les satisfactions.

Et tout à coup passe un courant d’air empesté.

L’idole s’abat frappée à mort. Un microbe, un invisible poison a arrêté chez l’enfant les ressorts de la vie.