Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/198

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— Bon, s’exclama son interlocuteur en riant, c’est oublié. L’Ombre ne peut en vouloir à la Main-Sûre.

— Merci. À cette heure du reste, tu n’es plus lié à moi, je déchire ton engagement.

— Pourquoi donc ? Vous le déchirez, et si cela ne me plaît pas, à moi ?

— Je le déchire parce que j’ai pris une résolution désespérée. Tu m’accompagneras, s’il te convient, mais si tu préfères t’en aller, tu es libre. Il ne serait pas juste que tu fusses victime de ma folie.

— Allez toujours, bougonna Pierre. Vous êtes bien certain que je ne m’en irai pas d’un côté, tandis que vous vous dirigerez de l’autre. Elle n’est pas difficile à deviner, votre résolution… Vous n’abandonnerez pas la Mestiza, parce que vous avez donné votre parole au Sullivan… je vous approuve. Vous ne voulez pas que la Doña trouve son colifichet avant que les douze mois de votre engagement soient écoulés. Je vous approuve encore. Et pour lui faire perdre les six mois qui restent, vous êtes décidé à tout, même à attirer sur nous tous les Indiens, à nous envoyer dans l’autre monde. Eh bien ! chef, ça me va. On poussera son cri de guerre en même temps que vous… Si mon heure est venue, mon chant de mort répondra au vôtre. Un brave chasseur, qui n’a jamais manqué à l’honneur et a couché pas mal de vermines rouges sur le sol du désert, peut quitter la vie sans crainte. Il est assuré d’être bien reçu sur les territoires de chasse du Grand Esprit, comme disent les Indiens.

Dans sa forme naïve, le discours de Pierre était poignant. L’homme qui, sans y être contraint, fait le sacrifice de sa vie, inspire une sorte de respect. Gairon éprouva ce sentiment et il tendit la main à son compagnon.

— Merci, Pierre, j’accepte ton dévouement. Dans la situation affolante où je me débats, je sais que mon projet est presque un suicide. Je te suis profondément reconnaissant de vouloir mourir avec moi.

L’engagé eut un gros rire :

De profundis… Amen… On se croirait à l’église de Québec, vous allez bien, chef. Nous ne sommes pas encore en terre.

— Non, mais peut-être ne tarderons-nous pas… 

— Ce n’est pas la première fois qu’on aura déclaré la guerre aux diables rouges.