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Page:Ivoi - Massiliague de Marseille.djvu/309

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était à la confection d’une cigarette, Sullivan lui jeta cet ordre :

— Maria (dans le centre américain, on appelle toutes les femmes rouges, Maria, et tous les Indiens, José Maria), tourne-toi vers ces caballeros. C’est à eux qu’il appartient de décider si tu dois être captive ou libre.

Sans hésitation apparente, la femme pivota sur ses talons et se campa, la tête haute, les yeux largement ouverts, en face de Francis Gairon.

Celui-ci eut peine à retenir un cri de douleur.

Sous la couche de bistre qui recouvrait ses traits, sous les misérables haillons d’une squaw indienne, il avait reconnu la Vierge mexicaine.

Des questions multiples cavalcadèrent dans son cerveau.

Comment était-elle seule, séparée de ses compagnons ? Pourquoi cet ajustement misérable ?

Elle le regardait toujours, la lèvre dédaigneuse, un défi dans les yeux.

— Eh bien ? fit Sullivan qui, sa cigarette allumée, se rapprocha du Canadien.

Ce dernier appela à lui toute sa volonté, tout son calme et haussant les épaules :

— Les serviteurs de la personne en question sont autrement harnachés que cela.

Joë éclata de rire.

— C’était mon impression.

— Et c’était la bonne, monsieur.

— Alors, on laisse passer cette Peau-Rouge.

— Je pense que vous le pouvez sans que cela tire à conséquence. 

— Bien.

Et s’adressant à la fausse Indienne :

— Tu as entendu. Tu es libre… décampe !…

Puis aux soldats :

— Qu’on la laisse aller.

Une seconde, Dolorès — car c’était bien elle, Gairon ne s’était pas trompé — demeurait immobile. En son esprit, il se passait une chose étrange, inexplicable. Le Canadien l’avait devinée… elle l’avait lu dans son regard, compris dans l’hésitation de sa voix, et il mentait pour qu’elle fût libre… lui qu’elle-même avait chassé comme un serviteur indigne et félon.

Quel mystère se cachait donc au fond de l’âme du chasseur ?…