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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/174

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

Prince ne l’avait jamais vu ; aussi crut-il d’abord à une méprise.

— Vous devez faire erreur, monsieur ?

Mais le señor secoua le front d’un air tragique, et d’un ton lugubre :

— Vous venez de causer avec une jeune personne ?

— Miss Laura Topee. Tout le monde a pu le constater sur le pont.

— Précisément.

— Eh bien ! En quoi cela vous déplaît-il ? questionna Albert, agacé par l’attitude provocante de son interlocuteur.

— En ceci : j’ai juré que, ne m’épousant pas, elle n’épouserait personne autre.

Prince fut sur le point de s’écrier qu’il ne songeait pas du tout à épouser Laura ; mais ce bon mouvement resta à l’état d’intention.

Orsato lui déplaisait décidément, et il lui eût répugné de prononcer une phrase susceptible d’être interprétée comme une concession.

Et puis…, cela, il ne se l’avoua pas…, mais il lui apparut soudain d’une outrecuidance insupportable, que ce personnage eût décidé d’empêcher l’élégante Canadienne d’épouser un autre homme que lui.

Si bien qu’au lieu de la vérité pacifique, Albert lança cette déclaration grosse de conséquences :

— Vous avez juré, monsieur, c’est fort bien ; mais votre serment n’engage que vous.

— Vous vous trompez. Il engage les autres à la prudence.

— La prudence est un mot vide de sens chez les Français.

— Chez les descendants des Espagnols, ce mot signifie que des yeux veillent, et qu’une main tient un poignard, une épée, un revolver, une arme quelconque.

— Oh ! fit ironiquement le pseudo-prince, dans la police française, cela signifie la même chose.

Les paroles de son interlocuteur lui avaient paru ne pouvoir sortir que de la bouche de l’un des ennemis signalés par ses alliés.

— Comprenez-le en espagnol, c’est là ce que je vous souhaite.

— Oh ! l’espagnol n’est pas nécessaire à la Préfecture.

Orsato, incapable de deviner le quiproquo, haussa les épaules.

— Riez, je veux bien… Seulement croyez-moi ; si vous avez étudié l’histoire, vous n’ignorez pas, qu’à défaut de l’épée, le poignard sait trouver le cœur des princes. Le passé est la leçon du présent. J’ai dit.

Et raide, faisant sonner les planches du pont sous ses talons, il laissa le représentant de commerce partagé entre le désir de ne pas compliquer