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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/205

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

Il avait parcouru les chantiers, s’était enquis des trains de bois prêts à être mis en flottage. Puis il avait annoncé qu’il allait tenter une expérience.

Jusque-là, de même que chez tous les autres industriels du pays, les directeurs de l’usine faisaient amener les bois sur la rive de la Saskatchewan.

Là, on les assemblait en radeau aussi solidement que possible ; puis, les hautes eaux venues, on les abandonnait au courant, la propriété en étant assurée simplement par un signe de reconnaissance gravé au fer rouge sur les troncs.

Bien que des services de réception et de tri fussent installés à frais communs par les scieurs en divers points du parcours, on comprendra qu’il se produisait des pertes inévitables. Tantôt un train de bois, se disloquant, éparpillait au hasard les solives qui le composaient. Tantôt, un train tout entier disparaissait. Il était allé s’échouer dans une anse, à un coude brusque de la rivière, et il pourrissait là, introuvable, à moins que les chasseurs, rouges, blancs, ou bois-brûlés, ou même quelque fermier des environs, ne le dépeçassent peu à peu pour l’utiliser comme bois de chauffage.

Le patron invisible allait tenter, à l’image de ce qui se fait en Europe, de faire accompagner la « flottée » par un équipage, et, afin de ne pas distraire des travailleurs de l’exploitation, il avait engagé un parti d’Indiens Kris, particulièrement aptes à ce labeur.

En ajoutant que le maître avait nom Orsato Cavaragio, qu’il devait tenir à être propriétaire au Canada, uniquement pour avoir une occasion de passer fréquemment à Swift-Current, où son ami, Ézéchiel Topee, et la toute charmante Laura avaient une luxueuse propriété, on connaîtra à fond le personnage, devenu scieur par désir de fiançailles avec l’une des plus riches héritières du globe.

Son inspection terminée, ses plans exposés à son directeur, Orsato avait manifesté la volonté de se reposer.

Une tente lui avait été dressée à quelque distance sur la rive du lac Sullivan, dans l’eau bleue duquel se miraient les falaises verdoyantes qui l’emprisonnent. Les hêtres, trembles, bouleaux, ces inséparables compagnons de la forêt canadienne, bruissaient doucement sous l’effort d’un vent léger.

À la surface du lac, des échassiers, des bandes d’oies sauvages, apparaissaient. Parfois, sur la rive, craintif, défiant, l’œil et l’oreille au guet, un caribou (cerf-élan) se montrait, venant boire tout en surveillant les alentours.

Le cri strident d’un aigle semblait, par instants, déchirer le ciel, et tout