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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/23

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L’HÉRITAGE DE LA « FRANÇAISE ».

À cette nouvelle, mon oncle Hector accourut au château, assista décemment aux obsèques, eut avec le notaire de la famille une longue conversation — où il acquit la certitude qu’il n’avait plus droit à aucune parcelle de l’héritage ; après quoi, il prit congé de nous et retourna à ses plaisirs.

Nous restions tous trois, mon père, ma mère et moi. Nous reprenions notre existence paisible, avec ces seules différences qu’il y avait au milieu de nous une place vide et que nos vêtements maintenant étaient noirs.

Hélas ! le jour du décès de mon grand-père, j’avais pris le deuil pour toujours.

Quelques mois s’écoulèrent. Mon oncle Hector ne donnait aucun signe de vie. Il se recueillait avant de frapper.

Un soir, après le dîner, nous étions réunis au salon.

Je m’étais pelotonnée dans un fauteuil. Comment cela se fit-il ? Comment ma mère, toujours si attentive, ne s’en aperçut-elle pas ?… Je ne sais ; mais je m’endormis profondément.

Une sensation de froid me réveilla.

J’ouvris les yeux… Je les refermai aussitôt.

Évidemment je rêvais.

J’avais perdu le sentiment au château, dans le grand salon, et je m’éveillais au milieu d’un bois, à l’abri d’une roche surplombante.

Cela était fantastique.

De nouveau je regardai. La vision persista. D’une voix étranglée par la terreur, je murmurai :

— Qu’est-ce que cela veut dire ?

Alors, une ombre pénétra dans le réduit. J’eus un cri d’épouvante, mais une voix douce et bonne, que je reconnus de suite, me rassura :

— N’aie point de crainte, Bertinette, Dilevnor est près de toi.

— Dilevnor, c’est toi, bon ami. Tu es donc revenu de ton voyage. Papa avait beau dire, j’étais bien sûre que tu reviendrais.

— Vous connaissiez mon père ? prononça d’une voix profonde Dodekhan, qui jusqu’à ce moment avait écouté en silence.

— Oui, et je l’aimais. Originaire du Turkestan russe, apôtre de l’indépendance, il avait dû quitter sa patrie, se réfugier en France. Mon père s’était trouvé en rapport avec lui, et conquis par la noblesse, la pureté de son caractère, il lui avait offert un asile à Armaris.

Par malheur, la police moscovite veillait.

Pour faire chasser de France ce patriote, elle l’avait dénoncé au gouvernement français comme un nihiliste, un révolutionnaire, un propagandiste par le fait.