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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/303

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

Oh ! cet organe ! jamais éclatement de tonnerre ne bouleversa pareillement touristes en chemin de fer.

Les fugitifs comprirent que, s’ils parlaient, leur accent, différent de celui des charmantes personnes dont ils avaient pris la place, les trahirait certainement.

D’autre part, leur visage les démasquerait tout aussi sûrement.

Sur cette réflexion, plus rapide que l’éclair, ils baissèrent la tête, opposant le fond de leurs chapeaux aux regards sévères de Turncrof, et demeurèrent muets.

Jonathan Batby, sa famille, l’officière, regardaient surpris.

— Eh bien ! reprit cette dernière, j’attends.

Même immobilité, même silence.

— Enfin, mesdemoiselles, êtes-vous devenues muettes ?

Les trois têtes coiffées de cabas s’abaissèrent encore pour affirmer.

— Oui.

Jonathan, Maggie et les quatre boys Batby ouvrirent des yeux ronds, effarés, énormes.

Cette catastrophe soudaine, privant ainsi, sous les yeux, trois jeunes personnes de la faculté si appréciée de découper sa pensée en mots, si l’on pense, et, si l’on ne pense pas, de démasquer le vide de sa pensée sous un déluge de syllabes, cette catastrophe les remplissait évidemment de terreur.

— Voyez-vous, Jonathan, fit Maggie à mi-voix, vous auriez mieux fait de ne pas leur confier vos secrets de dompteur.

— Moi, pourquoi ?

— Parce que le ciel protège manifestement nos efforts.

Le yankee passa sa main sur les têtes rousses de ses fils.

— Oui, certainement, il les protège.

Tandis que la ménagère continuait d’un ton doctoral :

— Et rien ne m’ôtera de l’idée qu’en condamnant ces jeunes filles au mutisme, ce ciel protecteur a voulu les mettre dans l’impossibilité de répéter votre imprudente confidence.

Jonathan courba le front, absolument désolé d’avoir causé par sa faconde aussi irréparable désastre.

Maggie remercia, in petto, le ciel de n’avoir puni les discours inconsidérés de son mari qu’en la personne d’étrangères, qu’elle plaignait, certes, mais dont la malchance la laissait beaucoup moins inconsolable que si l’un des siens en avait été victime.