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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/369

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

par un long usage, couvrait sans les cacher entièrement ses cheveux raides et poussiéreux.

Sa compagne portait un jupon que l’usure avait découpé en dents de scie, et qui ne cachait pas ses bottines d’homme éculées, à élastiques distendues. Sur une chemisette, que des arabesques malpropres parcouraient ainsi qu’un mur arabe, elle avait jeté un petit châle, qui avait dû être bleu dans son neuf, mais qui semblait avoir longtemps servi à essuyer les lampes à huile. Quant à la coiffure, c’était une broussaille emmêlée, sauvage, dans laquelle une rose, sans doute ramassée au ruisseau, avait été piquée.

Cette rose faisait rêver.

Elle disait la coquetterie survivante, elle disait le désir de plaire irraisonné que l’on retrouve avec étonnement, même chez ceux qui ne se débarbouillent pas.

Ce mélange de malpropreté et de coquettes préoccupations est certainement l’une des faces les plus curieuses de la bête humaine.

En écoutant les causeurs, la surprise augmentait encore.

— Ainsi, Meg, disait l’individu au chapeau accordéon, ainsi, ma tout aimable Meg, tu casserais bien une croûte ?

— Et même deux, mon élégant Peg. Si je n’étais soutenue par le plaisir d’admirer ta tournure de gentleman, je crois que je tomberais d’inanition.

— Oui, oui, jolis comme nous sommes, la nature eût dû nous faire riches.

— On ne peut pas tout avoir, Peg. Fortune et beauté, cela est trop à la fois.

— Ah ! Meg, quand on regarde les riches, on est tenté de le penser. Pas une de ces ladies en voiture ne t’arrive à la cheville.

— Et pas un de ces cossus gentlemen qui se pavanent à cheval, n’atteint ta semelle, mon cher Peg.

Ces affirmations paraissent osées de prime abord, mais en détaillant mieux les interlocuteurs, on eût reconnu qu’elles n’étaient pas exemptes de vérité. En effet, la cheville des brodequins d’homme de Meg était enlevée, et la semelle des souliers de Peg semblait à peu près absente.

Ce dernier reprit :

— Je voudrais t’offrir un repas succulent.

— Je l’accepterais de toi, mon Peg.

— Oui, mais pas un cent en poche.

— Il y en a dans la poche des autres, mon cher Peg.

— Peuh ! c’est très difficile d’explorer ces poches-là, depuis que le chef de