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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/381

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

— Cela, Sam, je suis prêt à en faire serment.

— Comprenez-vous cela ?

— Hélas ! pas plus que vous-même.

— Cette fois, vous ne pouvez me servir votre histoire de tout à l’heure… Une bouteille, cela n’est pas du pain, ni du jambon.

— On ne saurait rien dire de plus sage.

— Donc, continua rageusement Samuel, vous ne prétendrez pas que j’aie avalé cette bouteille, par distraction, comme vous dites ?

Scandalisé, Jephté croisa ses mains charnues sur son abdomen proéminent.

— Oh ! Sam, comment croire que je puisse dire pareille chose de vous, mon aîné par l’âge, mon chef en toutes choses ?

— C’est vrai, j’ai tort, mon bon Jeph ! Mais vraiment, au milieu de pareils événements, il y a de quoi perdre l’esprit… Car ce n’est pas niable, notre bouteille est partie…

— Oh ! oui, partie… sans laisser d’adresse.

— Et comment est-elle partie, je vous le demande ?

— Je me perds en conjonctures.

— Elle n’avait pas de jambes, je pense ?

La question médusa Jephté.

— Des jambes ! des jambes ! répéta-t-il.

— Mille panais ! tonna Samuel ; allez-vous affirmer qu’elle en avait ?

— Non, fit l’interpellé en étendant solennellement la main comme pour prêter serment ; non, je n’affirmerai pas… Car si elle avait des jambes, elle les cachait soigneusement, je ne les ai pas aperçues.

Puis, d’un ton de regret :

— Et même, c’est bien dommage ! Si, en effet, ce flacon avait eu les membres dont il s’agit, son départ s’expliquerait tout naturellement, et nous n’aurions pas besoin de nous mettre l’esprit à la torture pour arriver à n’y rien comprendre.

Évidemment, le brave fermier était dans le vrai.

Ni lui, ni son frère n’eussent osé accuser leurs paniers du nouveau larcin constaté, car, habituellement du moins, les paniers n’ont pas plus de bras que les flacons n’ont de jambes.

Donc, furieux, horripilés par cette disparition inexplicable de leurs aliments, les deux Fournier décidèrent que pour se consoler de la fuite du premier flacon, ils videraient le second.

Mais ici, leur stupeur devint de l’anéantissement.