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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/434

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LE PRINCE VIRGULE.

À son agitation de tout à l’heure avait succédé le calme. Tout son être exprimait l’apaisement.

Et cependant, ses yeux brillaient étrangement, sur ses lèvres s’ébauchait un sourire de défi.

Olga ne s’aperçut de rien.

Ses dévotions terminées, elle demanda :

— Alors, petite Mona, tu ne veux point assister au dîner du maréchal de la cour de Saint-Pétersbourg.

— Non, tante, je vous l’ai dit ; je suis trop inquiète. Et puis, au milieu de tout ce monde, où, privilège de l’âge sans doute, on sait parler de nos désastres avec calme, je craindrais de me laisser aller à l’impétuosité de mon caractère. Je suis vive, tante, vive, mais raisonnable, et je me rends compte de ce qui me manque pour devenir digne d’accompagner la chère belle dame que vous êtes.

Que répondre à cette câlinerie d’une nièce bien aimée, à laquelle on avait pris l’habitude de tout pardonner ?

Rien, pensa Mme Olga. Aussi elle embrassa la fillette, puis se retira dans sa chambre, pour se livrer aux mains des femmes de service, qui allaient l’habiller pour la soirée annoncée.

Mona, une fois seule, regagna le salon.

Les fenêtres donnaient sur la cour de l’hôtel, quadrilatère spacieux pavé de cubes rougeâtres de roche de l’Oural, et fermé par un portail géant, portant à son fronton l’écusson de Labianov.

Une voiture élégante, sortie des ateliers d’un maître carrossier de Paris, attelé de deux superbes chevaux noirs de l’Ukraine, stationnait devant le perron-terrasse qui surélevait le rez-de-chaussée.

Sur le siège, cocher et valet de pied, impeccables en leur tenue russe, grise et parements verts, avec leur bonnet circassien orné de la cocarde de la maison, croix de Saint-André émeraude sur fond gris clair, et debout près de la portière ouverte, un valet raide, froid, gourmé, attendant immobile, telle une statue de la Servitude, la venue de la très haute et très noble dame Olga Valestitcheff, née Labianov.

La jeune fille parut s’absorber dans la contemplation de l’équipage.

Les chevaux élégants, admirables de formes, la tête fine, les jambes sèches et nerveuses, piétinaient, grattaient le sol, s’impatientant à se sentir retenus, alors qu’ils avaient hâte de partir à toute allure.

— Ils sont beaux, murmura Mona d’un ton pensif… ; mais ceux de Mongolie ont plus d’ardeur encore.