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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/61

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L’HÉRITAGE DE LA « FRANÇAISE ».

La nuit s’écoula sans encombre.

Le silence n’était troublé que par le grésillement qui accompagne l’incessant travail des glaces.

Pourtant, vers le matin, les soldats de veille perçurent au loin comme des plaintes lugubres se répondant au milieu des ténèbres.

Ils hochèrent la tête, en hommes pour qui les bruits de la contrée n’ont pas de secrets, et, d’une tente à l’autre, ils échangèrent ces répliques :

— Les loups !

— Ils ont faim.

— Cela se devine. Rien que de la glace à se mettre sous la dent.

— Pourvu qu’on ne les rencontre pas.

— Bah ! nous sommes nombreux, armés… Une belle chasse est toujours amusante.

— C’est égal… que saint Ivan Gregor nous dispense de ce plaisir, voilà ce que souhaite le fils de ma mère.

Une teinte grise borda l’horizon oriental. Un jour pâle, gris, terne, s’épandit sur la banquise en tons de suie.

C’était la clarté sinistre des régions polaires.

Mais personne n’y prêta attention. Depuis des mois tous avaient vécu à Sakhaline ; ils étaient accoutumés à ce jour qui semble une nuit peu lumineuse.

On bouclait les tentes.

Les attelages se reformaient. Les ustensiles, les couchettes s’empilaient de nouveau sur les traîneaux.

Mona, toute grelottante sous ses fourrures, montra un instant son nez rose pour demander :

— Vas’li, à quelle heure atteindrons-nous l’embouchure du fleuve Amour ?

— Vers onze heures, petite Excellence.

Il lui donnait, selon l’usage sibérien, le titre de son père réduit par un diminutif.

— C’est long, soupira-t-elle. Et alors, la gare de Khabarovsk, quand y arriverons-nous ?

— Une heure et demie, deux heures après.

— Je croyais que la ville était toute proche de la mer ?

— Vous avez raison comme toujours, petite Excellence ; mais aux approches de la côte, les glaces, pressées les unes contre les autres, ne sont plus