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Page:Ivoi - Millionnaire malgré lui.djvu/88

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MILLIONNAIRE MALGRÉ LUI.

— Nous allons mourir pour le Tzar, pour la patrie, et à cette heure, peut-être, il n’y a plus de Tzar, il n’y a plus de patrie.

Et ils disaient vrai, ceux-là. La révolution victorieuse n’entraîne-t-elle pas, en Russie, avec la chute de la couronne, la séparation de la Pologne, de la Finlande, des Turkmènes, pour ne parler que de ceux qui jamais n’ont accepté sans esprit de retour d’être englobés dans le colosse moscovite.

Ainsi tristement Mona traduisait l’abattement lu au passage sur les figures des pauvres diables qui, privés de la confiance morale, seule gagneuse de batailles, s’en allaient aux confins du monde verser du sang, dernier luxe d’honneur des nations vaincues.

Le lac Baïkal apparut avec sa ceinture rocheuse et boisée, puis le train stoppa à Irkoutsk.

Là l’horaire prévoyait deux heures d’arrêt.

Macelle Lisbe, qui, la veille, avait pris un fort rhume, déclara ne pas vouloir sortir de son « car ».

Kozets, lui, s’installa au buffet pour lire les journaux d’Europe.

Quant à Mona et à Miss Mary, plus intrépides que leurs compagnons, elles s’engagèrent dans les rues de la ville de bois, comme on la désigne dans la région.

Le dégel commençait. Une boue noire et gluante recouvrait les avenues. Il fallait véritablement une vaillance peu commune pour patauger ainsi sans y être forcé.

Il est vrai que les Anglais ont au suprême degré l’énergie déambulatoire, et que Miss Mary avait soufflé à Mona cette ardeur à la promenade.

La jeune fille du reste n’eut aucun regret de l’avoir suivie.

À cent pas de la gare en effet, l’Anglaise qui regardait à droite, à gauche, en arrière, comme une personne qui craint d’être poursuivie, parut recouvrer le calme et laissa tomber cette phrase, qui fit que Mona demeura clouée au sol :

— Vous n’avez jamais accusé Dodekhan ?

— Vous dites ? balbutia son interlocutrice.

— Je dis qu’il avait promis de vous rejoindre et qu’il ne semble pas jusqu’ici avoir tenu sa promesse.

— Comment savez-vous cela ?

Dans l’excès de sa surprise, Mona formula cette interrogation qui, vu la circonstance, devenait un véritable aveu.

Miss Mary Maryly ne parut pas s’en apercevoir.