Page:Jacques Bainville - Louis II de Bavière.djvu/103

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En quelques jours, une étroite amitié se noua entre l’acteur et le souverain. Louis II montra à Joseph Kainz ces refuges de son rêve où, jusque-là, il n’avait admis personne. Il lui révéla la grotte de Tannhœuser, la hutte de Hunding et l’ermitage de Trevrezent. Il partageait avec lui sa voiture pendant ses promenades nocturnes. Et, tout à la joie de sa nouvelle affection, retrouvant les excès de son affection de jeune homme pour Wagner, et comme si, après tant de solitude, il eût eu besoin de se livrer, le roi de Bavière tutoyait le petit acteur juif, l’accablait de prévenances. Joseph Kainz était, d’ailleurs, tout à fait à l’aise dans ce nouveau rôle de favori.

Nous savons, par ses propres soins, les incidents de cette amitié de quelques mois. Kainz, comme nous l’avons dit, n’était pas incapable de soutenir la conversation avec Louis II. L’art du théâtre et la grande question de la sincérité de l’artiste en faisaient le fonds. Louis II réfutait le Paradoxe sur le comédien. Il ne voulait pas que l’acteur se séparât du rôle. Joseph Kainz était et restait Didier. Louis II ne l’appelait pas d’un autre nom. Et, un jour qu’il reparlait de Marion Delorme, Kainz ayant fait observer froidement, en homme de la partie, qu’il y a, dans le drame d’Hugo, des détails invraisemblables, comme l’escalade du balcon, Louis II développa avec vivacité son esthétique :

« Cela peut être vrai, dit-il. Mais, quant à moi, j’ai toujours soin de ménager mon idéal. Je n’aime pas à remarquer ces petites faiblesses dont l’harmonie générale de l’œuvre aurait à souffrir si on les examinait de trop près. Il en est de même pour moi de l’acteur. Je ne vois en lui que le personnage qu’il représente. Aussi, celui qui est chargé d’un rôle noble est-il un être noble à mes yeux.

— Mais, objecta Kainz, si je jouais Franz Moor, des Brigands, me prendriez-vous pour un coquin ?