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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/126

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dégoûté de Rousseau depuis que j’ai vu l’Orient, disait-il ; l’homme sauvage est un chien. » Comment appellera-t-il la femme civilisée qui n’a ni loyauté ni foi ? Il y a de l’amertume dans cette parole. En Égypte, Bonaparte apprendra que Joséphine l’a trompé, qu’elle le trompe encore, qu’elle rend ridicule, a Paris, le héros qui naguère marchait à la conquête de l’Italie en marquant chacune de ses victoires par une lettre d’amour. Alors il eut dans la bouche l’âcreté de la trahison. « J’ai beaucoup de chagrin domestique car le voile est entièrement levé, » écrivait-il du Caire à Joseph. Et il ajoutait, comme un René, comme un Manfred romantiques : « J’ai besoin de solitude et d’isolement. Les grandeurs m’ennuient, le sentiment est desséché, la gloire est fade. À vingt-neuf ans, j’ai tout épuisé. » Pas tellement que chez lui la nature, la volonté, l’ambition ne se rebellent. Il croit qu’il souffre et il est irrité. Au fait, Joséphine infidèle le libère. Il prend une maîtresse, la femme d’un de ses officiers. Misanthrope, il devient un peu pacha.

Qu’on lui parle donc moins que jamais de la bonté naturelle de l’homme. Ce n’est pas le principe sur lequel il fonde son système de gouvernement. Car il gouverne, en Égypte, il organise, il légifère. Il s’installe dans le provisoire, le fragile, le précaire, ce qui sera jusqu’au bout sa destinée. Après coup seulement il a représenté son séjour près du Nil comme une position d’attente. Là comme ailleurs, il est tout entier à ce qu’il fait dans le moment présent, sans perdre son temps à supputer ce qui peut se produire demain, quitte, dès la première occasion, à se tourner d’un côté nouveau.

Il y avait un mois que l’armée avait débarqué à Alexandrie, les Mamelouks avaient été battus à Chebreiss et aux Pyramides, leur domination brisée, leurs restes poursuivis dans le désert, lorsque le