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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/145

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Sieyès et Fouché, qui étaient d’avis, pour mettre toutes les chances de son côté, de procéder à des arrestations préventives parmi les députés connus d’avance comme des adversaires ardents. À ce refus, peut-être imprudent, il gagnera de rendre son régime accessible aux plus purs révolutionnaires et de ne pas s’entendre reprocher un crime du 18 brumaire, comme son neveu le crime du 2 décembre. Il a joué la difficulté mais, au fond, il a eu raison parce qu’au delà de la « journée », qui s’ajoute à la longue série des « journées » révolutionnaires, il a obtenu un des résultats auxquels il pensait. Il ne sera pas dans la dépendance des casernes comme s’il n’avait dû son élévation qu’à l’armée.

Le danger, en effet, était que son exemple en autorisât d’autres à recommencer contre lui ce qu’il aurait fait contre le Directoire. Il ne reculera d’ailleurs cette échéance que de quinze ans, car, en 1814, c’est en se prononçant contre l’empereur que ses maréchaux l’obligeront à abdiquer. Bonaparte se rend très bien compte que, si grande soit-elle, sa supériorité sur tous les autres chefs militaires ne les empêchera pas de se dire : « Pourquoi pas moi ? » Tandis que Sieyès et Fouché ont l’œil sur l’opposition parlementaire, Bonaparte, qui connaît son propre milieu, ne met au courant du complot que les officiers dont il est sûr. Il est plus que circonspect avec les autres. La veille et le jour de Saint-Cloud, les hommes qu’il fait spécialement surveiller, parce que ce sont ceux dont il se méfie le plus, s’appellent le général Bernadotte, le général Jourdan, le général Augereau.

Il n’était pas hypocrite lorsqu’il écrivait à Talleyrand, deux ans plus tôt : « C’est un si grand malheur, pour une nation de trente millions d’habitants et au XVIIIe siècle, d’être obligée d’avoir recours aux baïonnettes pour sauver la patrie ! » Bonaparte préférerait se passer tout à fait des baïonnettes. Son pouvoir futur n’en serait que plus solide. En cela il