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À LA MERCI D’UN COUP DE PISTOLET

son prestige, doive enterrer la liberté invincible ou empêcher l’inévitable retour des Bourbons, personne, dans aucun des deux camps, ne le suppose, pas plus qu’on n’admet à l’étranger que, malgré ses victoires d’Italie et sa fantasia d’Égypte, il soit capable de vaincre les armées, les flottes et les généraux de toute l’Europe. Est‑ce qu’à ce moment même les troupes autrichiennes n’investissent pas Gênes, où Masséna est aux abois ? Est‑ce qu’elles n’assiègent pas les frontières de la République dont les derniers vaisseaux sont bloqués à Brest ? Que la France puisse gagner une telle partie, allons donc ! Et cette incrédulité se traduisait en clair à Berlin où le premier Consul, continuant la diplomatie de la Révolution, cherchait à contracter une alliance qui se fût complétée par celle de la Russie mais à laquelle la Prusse se dérobait.

En France même, après l’espèce de griserie et d’étourdissement qu’a donné le 18 brumaire, après la belle aurore du Consulat, on se ressaisit et il apparaît qu’il n’y a pas tant de choses de changées. Les partis restent sur leurs positions. Ni les royalistes, ni les jacobins ne désarment. Ils sont d’accord pour attendre. Au printemps, l’Autriche reprendra les hostilités. Tout le monde sait qu’un revers mettrait fin au nouveau régime et Bonaparte est le premier à le savoir. Et puis, il peut périr dans une bataille comme il est arrivé à Joubert. Il peut mourir de maladie et de fatigue comme il est arrivé à Hoche, et l’on observe qu’il n’a jamais été si creusé ni si jaune, car il s’est surmené de travail. Dès lors, à quoi bon le renverser ? Il disparaîtra peut‑être tout seul. Le fait est que les six premiers mois du Consulat furent assez tranquilles. Les attentats ne commenceront qu’après Marengo.

Mais, si l’on n’essaie pas encore de le supprimer, on songe à le remplacer. Chez ses partisans, dans son personnel, dans son entourage même, l’idée de sa fin ou de sa chute hante les esprits. Il y a ceux qui