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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/199

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NAPOLÉON

vie. Fort de l’appui de la Russie, Bonaparte parle avec affectation d’un gigantesque projet, une attaque de l’Inde à revers, qui doit porter l’effroi dans la Cité de Londres. Le nouveau gouvernement britannique, celui qui est venu après la chute de Pitt, n’accepte pas, quelque décidé qu’il soit à la paix, de négocier sous une telle menace. Il agit, il travaille de son côté pour s’assurer à la table de conférence une position meilleure. Presque en même temps deux nouvelles arrivent à Paris. Nelson a bombardé Copenhague en réponse à la Ligue des neutres, autre esquisse du blocus continental, et Paul 1er a été assassiné à Pétersbourg. « L’Histoire nous apprendra le rapport qu’il y a entre ces deux événements. »

Bonaparte savait calculer l’effet d’une foudre verbale. Ses grandes colères étaient souvent simulées. Il excellait aussi à leur donner un tour de littérature historique. L’accusation qu’imprima sur son ordre le Moniteur sent sa main. Mais sa fureur n’était pas feinte. La mort de Paul, c’est l’effondrement de l’alliance russe, et, signe grave pour l’avenir, Paul a été la victime de son alliance avec la France. Ce qui a décidé les conjurés à l’assassinat du tsar, c’est l’ukase qui ferme les ports de Russie au commerce avec l’Angleterre, qui ruine boyards et négociants. Et le blocus continental sera aussi l’écueil sur lequel se brisera l’alliance de Tilsit. Enfin le drame de Saint-Pétersbourg est un avertissement pour Bonaparte lui-même. Le « coup essentiel », qui le cherche entre les Tuileries et la Malmaison, vient de réussir au palais Michel, et si l’Anglais n’a pas agi en personne, la preuve est faite que les amis de l’Angleterre peuvent agir. Le régicide de Pétersbourg ne dérange pas seulement les plans du premier Consul. Il lui rappelle le 3 nivôse, la machine infernale et les poignards, l’attentat préparé dans l’ombre, sa mort qui soulagerait ses ennemis.

Et pourtant ce drame hâtait l’heure d’une paix