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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/238

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LE FOSSÉ SANGLANT

l’y auraient « bouclé, pour leur propre sûreté, par l’affaire du duc d’Enghien ». En ce cas, Bonaparte avait compris leur idée. Il en avait vu la portée immense et l’hypothèse qui tend à le disculper atteste le dessein politique qui a réglé le drame de Vincennes. Car cette sûreté de Fouché et de Talleyrand étant celle de mille autres, l’effet cherché était obtenu. Hortense observe très bien le résultat tel que pouvait le désirer et que le guettait l’intéressé principal : « Au reste, dès ce moment, tous ceux qui avaient concouru à la Révolution se rattachèrent franchement au Consul. Ce ne sera plus un Monk, se dirent-ils ; voilà des gages, on peut compter sur lui. » Qu’importaient, en regard, quelques mines longues, quelques blâmes, quelques bouderies ? Les ralliés n’en seraient que plus soumis, ayant subi cela. Qu’importait même une tache sur le nom de Bonaparte si c’était la rançon d’une fortune plus haute et le prix à payer pour inscrire le nom de Napoléon dans l’histoire ?

Écho de Malmaison, Hortense écrit encore avec naïveté ce qui est la vérité même : « Toutes ces circonstances amenèrent un grand événement. » L’exécution du duc d’Enghien, la salve de Vincennes, c’est le « grand acte » qui amène l’Empire, qui met fin aux objections des républicains, qui entraîne, qui décide, et, — c’est le grand mot, — qui excuse tout pour la France de la Révolution. Tout, même le sacre. L’onction viendra bientôt, d’une main qui bénit et pardonne. C’est l’autre aspect du drame, ce qui l’achève : l’absolution dans l’apothéose.

Peu de temps après la nuit de Vincennes, le premier Consul, au cours d’une conversation, disait, comme pensant tout haut : « J’ai imposé silence pour toujours et aux royalistes et aux Jacobins. » Et à Joseph, qui avait intercédé pour le prince : « Enfin, il faut se consoler de tout. » Consolation facile. Le coup avait réussi. Il effrayait les uns, il réjouissait