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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/263

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NAPOLÉON

l’homme qui, chaque soir, lit ses états de situation, avant de s’endormir, pour les posséder et les garder présents à l’esprit, de même qu’à la guerre il sait toujours sa position. C’est vers ses escadres qu’il tourne maintenant son étude, vers elles qu’il tend toute son intelligence, bien qu’il ait à compter ici avec l’élément capricieux et instable qui dérange trop de calculs. Encore, son plan, le proportionne-t-il aux ressources maritimes dont il dispose et, si c’en est le point faible, c’est du moins une faiblesse raisonnée.

On lui reproche quelquefois de n’avoir pas appliqué ici son principe de guerre essentiel, qui était de détruire la force principale de l’ennemi. Une grande victoire navale et il obtenait, avec une pleine sécurité pour l’avenir, ce qu’il lui fallait, c’est‑à‑dire le libre passage de la Manche. Cette idée, la première qui se présentait à l’esprit, était trop naturelle pour qu’elle ne lui fût pas venue. Mais si ses escadres eussent été capables de battre celles des Anglais, tout allait de soi, le problème était résolu, et il n’était pas besoin d’envahir l’Angleterre pour la faire céder. Napoléon savait si bien l’infériorité de sa flotte que la consigne essentielle des amiraux était de tout sacrifier, de se sacrifier eux-mêmes pourvu que ce qu’il resterait de vaisseaux se réunît dans la Manche pour y dominer, ne fût-ce que l’espace d’un jour. Tout reposait sur des combinaisons destinées à livrer le passage à la magnifique armée de 132 000 hommes qui attendait avec impatience le moment de couper à Londres « le nœud des coalitions » et de « venger six siècles d’insultes et de honte ».

Parce que ce plan n’a pas réussi, on a dit, on a cru qu’il était impossible et, qu’étant impossible, Napoléon ne s’y était jamais sérieusement arrêté. Les preuves abondent, au contraire, qu’il y appliqua son esprit avec passion. Le livre de la destinée lui était fermé comme aux autres hommes. Il ne se