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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/266

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AUSTERLITZ MAIS TRAFALGAR

encore blessée du coup d’Aboukir, à ce qu’elle était sous Louis XVI, au temps de la guerre de l’indépendance américaine, il se sent accablé. La vue de son infériorité le paralyse et l’idée de se mesurer avec Nelson lui inspire des appréhensions que ne conjure même pas la crainte du maître. À la fin, il se laissera encercler par Nelson pour se jeter contre lui de désespoir, offrir la bataille quand elle sera inutile, la perdre et y ruiner ce qu’il restait à la France de forces navales.

Nous sommes ici, dans l’histoire de Napoléon, au centre même, au point où se lie ce qui la précède et ce qui suivra. L’héritage de la Révolution, il ne l’a pas reçu sous bénéfice d’inventaire mais avec toutes ses charges, avec ses vices cachés. Ce légataire universel a pour mandat de faire capituler la plus grande puissance navale du monde et il n’a pas trouvé, dans les ressources de la France, ce qui ne s’improvise pas, une marine. La mer lui a été, lui sera toujours fatale. Sa première sortie, à la Maddalena, a été déjà un échec, une sorte d’avertissement de la destinée, par la faute des navires et des marins de la République. L’expédition d’Égypte n’avait plus d’issue après le désastre d’Aboukir. Pour les mêmes causes, qui agissent dans l’ordre psychologique et qui tuent chez les amiraux la confiance et l’audace, l’invasion, moyen d’en finir avec l’Angleterre, ne sera, comme la conquête de l’Orient, qu’un projet avorté.

Ce ne fut pas sans avoir mis encore de l’espoir dans un plan nouveau, dans une autre combinaison des mouvements de ses escadres que Napoléon se résigna à lever le camp de Boulogne. Ce ne fut pas non plus de son plein gré. Depuis quelques semaines de graves nouvelles appelaient sa pensée ailleurs. Bientôt, il ne sera plus libre de choisir entre la mer et la terre. En quelques journées capitales, où il n’est maître ni des événements ni de l’avenir, sa fortune change vraiment de face. Il regardait vers