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Page:Jacques Bainville - Napoléon.djvu/304

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L’ÉPÉE DE FRÉDÉRIC

sans faire de promesses fermes, enveloppant ses paroles de prudents « peut-être ». Murat, qui échangerait volontiers son grand‑duché de Berg contre le trône de Pologne, pose ouvertement sa candidature. L’empereur le rudoie et, avec ses costumes, son nouveau déguisement en Sobieski, le renvoie chez Franconi, au cirque. La chose sérieuse est que, dans le même temps, Napoléon fait savoir à l’Autriche, à la neutralité de laquelle il tient vivement, qu’il garantira à la cour de Vienne, quoi qu’il arrive, sa part des dépouilles polonaises, la Galicie.

Napoléon s’est servi de la Pologne. Il n’a pas voulu la servir. Duplicité qu’un intérêt vital commande. Il a une vue très nette de sa situation, beaucoup moins brillante qu’elle n’en a l’air. Où il paraît vraiment né pour commander les hommes, ce n’est pas seulement par l’énergie avec laquelle, à quatre cents lieues de sa capitale, il tient tout le monde en haleine, s’occupant de tout, surveillant tout, prévoyant tout, dictant dix et vingt lettres par jour — et quelles lettres, sur les sujets les plus variés ! Ce n’est pas seulement par la clarté avec laquelle il embrasse l’ensemble et le détail, les opérations en cours pour l’occupation totale de la Prusse, l’administration des pays occupés, le ravitaillement des troupes, le biscuit et les souliers, sans compter les instructions diplomatiques et le gouvernement de l’Empire. Là, il en ferait peut‑être trop, et le jour ne tardera pas à venir où il sera submergé, car il est déjà visible qu’il doit donner l’impulsion à tout et que, sans lui, tout s’affaisserait. Mais le chef se reconnaît surtout à la possession de lui-même. Il ne trahit jamais son trouble ou bien ce n’est que furtivement et pour des observateurs sagaces. Troublé, il l’est pourtant. Car il sait que si la grande affaire qu’il a dans l’esprit, l’alliance russe, vient à manquer, tout est perdu, le blocus continental étant vain si, en effet, le continent n’y adhère pas. Il ne reste plus, sans doute, qu’à forcer la Russie à signer la